La Croix

Abeilles contre pesticides, la bataille reprend

LA CROIX / Par Séverin Husson Et Emmanuelle Réju – 19/01/2016

Mardi 19 janvier, le Sénat examine en première lecture le projet de loi sur la « reconquête de la biodiversité ».Les sénateurs écologistes entendent à cette occasion demander à nouveau l’interdiction totale des insecticides appartenant à la famille des néonicotinoïdes.

Faut-il totalement interdire les pesticides de la famille des néonicotinoïdes, largement utilisés par les agriculteurs ? C’est le sens de l’amendement qui sera présenté par les sénateurs écologistes à l’occasion de la discussion au Sénat du projet de loi sur la biodiversité qui commence le 19 janvier.

« Ces molécules neurotoxiques ont un impact avéré sur les abeilles domestiques, mais aussi sur les pollinisateurs sauvages, voire les vers de terre qui sont essentiels à la santé des sols », plaide le sénateur EELV du Morbihan Joël Labbé.

Les députés avaient adopté cette mesure en première lecture, contre l’avis du gouvernement. Les sénateurs l’ont déjà rejetée en commission. Mais les élus écologistes entendent relancer le débat en séance.

Voilà des années que les néonicotinoïdes, qui ont la particularité d’attaquer le système nerveux des insectes ravageurs des cultures, sont mis en cause pour leur rôle prépondérant dans le déclin rapide des populations d’abeilles, victimes collatérales de ces traitements.

Les preuves accumulées de leur toxicité sur les pollinisateurs, qu’ils soient pulvérisés ou appliqués sur les semences, ont abouti en décembre 2013 à un moratoire européen sur trois des cinq substances autorisées par l’Union européenne. Les deux autres sont en cours de réévaluation.

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« Une telle décision ne peut être prise que s’il existe des alternatives pour les agriculteurs »

Le traitement des semences et des sols avec les trois molécules visées par le moratoire est interdit pour les cultures qui attirent les abeilles, comme le colza, et pour les céréales, sauf s’il s’agit de cultures sous serre et de céréales semées à l’automne.

Les traitements par pulvérisation sont interdits pour les mêmes catégories de culture, sauf pour les cultures sous serre ou après floraison.

Les apiculteurs, soutenus par certains élus, souhaitent une mesure d’interdiction généralisée. « Je ne suis pas favorable à l’amendement sénatorial, affirme pour sa part le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll. Il laisse à penser qu’il suffirait d’interdire les néonicotinoïdes et les produits phytosanitaires pour régler le problème des abeilles, ce qui n’est pas vrai. Par ailleurs, une telle décision ne peut être prise que s’il existe des alternatives pour les agriculteurs. Il y en a parfois, mais pas pour toutes les cultures. Dès lors, les agriculteurs risqueraient de revenir à des pratiques encore plus problématiques que les enrobages et moins efficaces. Je dois trouver un équilibre entre toutes les filières. »

Dans un contexte d’incertitudes, l’Anses préconise de nouvelles mesures de précaution

Selon une note réalisée par les experts de la FNSEA, environ 15 % des surfaces de colza et 30 % de celles consacrées aux céréales d’hiver (semées à l’automne et récoltées en juin-juillet, comme le blé tendre) utilisent des semences protégées par un néonicotinoïde.

Saisie en juin 2015 par la ministre de l’écologie Ségolène Royal, l’agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a rendu un avis provisoire la semaine dernière.

« En l’état actuel des connaissances, et en l’absence de mesures de gestion adaptées, nous savons que les néonicotinoïdes entraînent des effets négatifs sévères sur les espèces pollinisatrices, dont les abeilles domestiques, décrypte Françoise Weber, directrice générale adjointe en charge des produits réglementés à l’Anses. En revanche, nous manquons encore d’études qui fassent le lien, en situation réelle, entre l’exposition des abeilles aux néonicotinoïdes et l’impact sur l’abeille et sur la ruche ».

Dans ce contexte d’incertitudes, l’Anses ne préconise donc pas une interdiction totale de ces substances, mais de nouvelles mesures de précaution : éviter de semer des plantes attractives pour les abeilles dans un champ ayant accueilli précédemment une culture traitée avec un néonicotinoïde ; ne semer des céréales d’hiver traitées que si la météo est vraiment hivernale et que les températures sont assez basses pour que rien ne fleurisse autour du champ et que les abeilles restent dans leur ruche.

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Une éventuelle mise en péril des rotations de cultures

« Concernant la vigne et les vergers, nous ne sommes pas sûrs que les substances pulvérisées après floraison ne se retrouvent pas comme résidus dans la fleur qui poussera l’année suivante », relève Françoise Weber.

Dans le doute, les experts de l’Anses préconisent donc de ne renouveler les autorisations de mise sur le marché, en cours de révision à Bruxelles, qu’à la condition que les industriels fournissent, dans un délai d’un an, des analyses sur ces éventuels résidus.

« Nous allons mettre en place un groupe de travail avec la profession agricole autour de cet avis de l’Anses, car je ne peux pas prendre de décision d’application immédiate, précise encore Stéphane Le Foll. L’Anses préconise de ne pas planter de cultures mellifères (avec des fleurs butinées par les abeilles, NDLR) après une semence enrobée par un néonicotinoïde. Résultat, on va mettre en péril les rotations de cultures, ce qui n’est pas acceptable. »

Dans un communiqué prudent publié début janvier 2015, la ministre de l’écologie Ségolène Royal promet pour sa part que les recommandations de l’Anses seront débattues au Sénat.

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Une loi pour protéger la biodiversité

Le projet de loi qui arrive en discussion au Sénat en première lecture prévoit la création d’une agence nationale de la biodiversité qui permettra de définir une stratégie pour freiner l’érosion de la biodiversité en France.

Le texte prévoit par ailleurs de rendre plus efficaces les mesures de compensations environnementales prévues dans les cas de destructions d’espaces naturels.

Il renforce les sanctions contre le commerce des espèces protégées.

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