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Crise des éleveurs : réactions croisées de deux sénateurs

PUBLIC SÉNAT – Par Natacha Gorwitz / 22-07-15

Redressement des prix, désendettement, au total, le plan de soutien aux éleveurs présenté aujourd’hui par le gouvernement comporte 24 mesures, autour de 6 priorités. Qu’en pense les sénateurs ? Réactions croisées de Jean-Claude Lenoir, président Les Républicains de la commission des affaires économiques, et de Joël Labbé, sénateur écologiste du Morbihan.

Comment avez-vous réagi aux nouvelles annonces du gouvernement pour répondre à la crise que traversent les éleveurs ?

J-C Lenoir : Ces mesures vont dans le bons sens. Mais celles-ci sont sans doute insuffisantes pour répondre aux attentes des éleveurs. La moitié porte sur des reports d’échéances, des allègements de charges et des différés de paiement de taxes. Le plan de soutien du gouvernement ne répond pas au sujet immédiat, la question des prix. Ce n’est pas tant le niveau du prix qui compte, mais plutôt la notion de ‘prix juste’ qui correspond au travail effectué. Or, on ne voit pas bien aujourd’hui comment le gouvernement envisage de faire en sorte que l’éleveur soit rémunéré.

J Labbé : Les mesures d’urgence sont absolument nécessaires, il n’y en avait pas 50 possibles et il fallait les prendre rapidement. Par contre, pour les réponses de moyen et long-terme à apporter, il aurait fallu s’appuyer sur cette situation pour accélérer la transition. Cette crise, on s’y attendait. Le modèle productiviste est à bout de course. Il est anormal que les prix des produits agricoles soient aussi peu élevés par rapport aux coûts de productions. Or, on continue de parler de compétitivité, d’une agriculture de plus en plus spécialisée, industrialisée et tournée vers l’exportation. Ce n’est pas en poursuivant cette logique là qu’on va y arriver.

Le gouvernement compte sur la conquête de nouveaux marchés à l’exportation pour les produits agricoles, mais aussi via la commande publique. Qu’est-ce que vous en pensez ?

J-C Lenoir : C’est bien beau de vouloir conquérir les marchés à l’exportation, mais nous ne sommes pas compétitifs. Nous sommes au-dessus des prix, avec des charges très élevées. Il manque des mesures importantes pour permettre à l’élevage français de produire et vendre durablement, que ce soit sur le marché intérieur ou extérieur. A ce titre, l’étiquetage des produits français fait partie des mesures qui ne coûtent pas cher et qu’il faut encourager. Aujourd’hui, dans les grandes surfaces, il faut avoir des lunettes pour voir si la viande vient de France. C’est après le passage à l’abattoir que l’information se dilue. D’autres mesures relèvent de la mobilisation des acteurs publics. Actuellement, plus de 80% de la viande servie par la restauration collective vient de l’étranger. Il y a une culture publique à corriger.

J Labbé : Actuellement, on est dans une fuite en avant, marquée par une compétitivité sans fin dans laquelle on ne fait pas le poids par rapport aux autres pays exportateurs. Il faut que nous reconquérions le marché national avec des produits de qualité. Il faut retourner à une alimentation de qualité et locale, ce qui suppose de structurer des filières de proximité. On y gagnera en termes de coûts, pour les consommateurs comme pour les producteurs. Mais, c’est paradoxal de vouloir soutenir les circuits locaux en même temps que les exportations de produits bas de gamme.

Peut-on espérer que la crise des éleveurs s’éteigne avec les mesures qui ont été prises ? Ou, d’autres crises à venir sont-elles à craindre ?

J-C Lenoir : Les éleveurs pourraient considérer que le dialogue a été rétabli. Cela aurait pu être fait plus tôt. Aujourd’hui, il règne en leur sein une grande méfiance, plus forte à la base qu’au niveau des dirigeants des organisations syndicales. Les éleveurs n’y voient pas très clair quant à leur avenir à moyen terme et à long-terme. Certains représentants des producteurs de porcs imputent cette récente remontée des prix d’1,35 euros à presqu’1,40 euros le kilo à la hausse des prix qu’on observe généralement à l’approche de l’été. Si rien n’est fait, on va se retrouver dans une situation où les prix vont à nouveau baisser.
Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les plus jeunes éleveurs qui se posent tellement de questions. Il y a un très grand risque de voir certains d’entre eux de changer de métier. Je rencontre beaucoup d’éleveurs qui n’y croient plus. C’est cette crise de confiance qui me marque le plus.

J Labbé : Beaucoup d’éleveurs sont désespérés. Ils sont coincés dans un système. C’est pourquoi le gouvernement doit mettre en œuvre les moyens nécessaires pour accélérer la transition. Aujourd’hui, nous sommes dépendants de plus d’un million d’hectare de soja à 80% transgénique, originaire d’Amérique du Sud. Il faut mettre en place un plan de production nationale de protéines. En attendant, lorsqu’une population est désespérée, il y a beaucoup d’imprévisible. Sur les mesures d’urgence, le gouvernement est allé au bout de ce qu’il pouvait faire. A présent, tous les prestataires, notamment la grande distribution, les transformateurs et les intermédiaires industriels doivent être mis devant leurs responsabilités.

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