Le Monde

En détresse, des apiculteurs rendent hommage aux abeilles perdues

LE MONDE – 07/06/2018 – Par Alexandre-Reza Kokabi

La France va procéder à un état des lieux national précis des mortalités d’abeilles, a annoncé le ministère de l’agriculture jeudi, au soir d’une mobilisation d’apiculteurs.

Face à l’ampleur des pertes d’abeilles en sortie d’hiver, des apiculteurs se sont réunis, jeudi 7 juin, pour une grande journée de mobilisation nationale. A Paris, place des Invalides, mais aussi à Lyon, Rennes, Quimper, Tours, Périgueux, La Rochelle, Strasbourg ou Laon. Ils ont dénoncé un « écocide » et ont appelé l’Etat et le président Emmanuel Macron à allouer « un plan de soutien exceptionnel aux apiculteurs sinistrés » et à instaurer les conditions d’un « environnement viable pour les colonies d’abeilles et les pollinisateurs ».

Au soir de la mobilisation, le ministère de l’agriculture a annoncé dans un communiqué que ses services allaient « établir un état des lieux précis des mortalités [d’abeilles], sur l’ensemble du territoire, via les services déconcentrés de l’Etat », état des lieux auquel seront associés des apiculteurs.

Ce recensement permettra d’« expertiser les dispositifs d’accompagnement les plus adaptés », écrit le ministère, où une délégation d’apiculteurs avait été reçue dans la journée par le cabinet du ministre, absent de Paris.

Cérémonie mortuaire

Plus tôt dans la journée, le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, leur avait rendu visite face à l’hôtel des Invalides. « C’est quelque chose de fort, parce qu’on demande avant tout une reconnaissance, glissait Marie Giorgi, apicultrice bretonne. Nier la réalité globale du travail d’apiculteur, aujourd’hui, c’est tourner le dos à l’effondrement de masse des abeilles. Nous sommes en première ligne. »

Exécutée par un trompettiste, la Sonnerie aux morts a retenti gravement sur la place des Invalides. Mines grises, têtes baissées, vareuses sur le dos, les apiculteurs rendaient hommage aux abeilles disparues cet hiver. Elles sont là, devant eux, inanimées. L’un d’eux agite son enfumoir et répand l’odeur entêtante d’un tabac traditionnellement destiné à masquer les phéromones des butineuses.

Derrière un pupitre, Marie Giorgi égrène la provenance des colonies sinistrées, les noms de leurs propriétaires. L’apicultrice de la presqu’île de Crozon (Finistère) hiverne une bonne partie de ses ruches dans les Côtes-d’Armor. En Bretagne, plus de 20 000 colonies d’abeilles sont mortes cet hiver, soit un tiers de leur nombre total. Marie Giorgi n’a pas échappé à l’hécatombe. La peur au ventre, elle a ouvert, une à une, ses ruches. « Sur certaines, raconte-t-elle, tout était mort. J’en ai perdu 200 sur 260… » En sept ans d’apiculture, elle n’avait jamais connu ça. Elle montre l’un de ses cadres, lourd de miel. Au centre, une grappe d’abeilles mortes. « Deux cents ruches perdues, c’est 50 000 euros de capital partis en fumée. Sans compter la production que je n’aurai pas. En tout…, c’est au moins 120 000 euros réduits à néant en une année. Certains apiculteurs sont en cessation de paiement, mis en demeure, s’ils n’ont pas déjà mis la clé sous la porte. »

« C’est la vie qu’on met en danger »

Un temps de silence est consacré au recueillement, tout juste perturbé par le ballet de quelques voitures. La quinzaine d’apiculteurs, épaulés par le sénateur écologiste du Morbihan Joël Labbé et le député européen Yannick Jadot (EELV), se dirigent vers l’Elysée pour faire entendre leur voix auprès du pouvoir exécutif. Dès l’entrée du pont Alexandre-III, un cordon de CRS leur bloque le passage.

« Au fond, philosophe Marie Giorgi, nous sommes des témoins gênants. Les abeilles sont des indicateurs de la biodiversité. C’est la vie qu’on met en danger en répandant des molécules nocives sur le marché et dans la nature. Nous sommes les témoins d’une dégradation générale de l’environnement causée par ces produits. Les insectes et les oiseaux disparaissent en silence. Nous écouter, nous entendre, nous accorder raison, ça veut dire changer de modèle agricole français. » Pas sûr, dit-elle, que les dirigeants français en aient le courage.

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