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Herboriste : un métier d’avenir encore illégal en France

WE DEMAIN – 31/05/2018 – Par Paola De Rohan-Csermak

Les herboristes n’existent plus juridiquement en France depuis 1941 et le régime de Vichy. Une mission d’information a été créée au Sénat pour remettre la profession dans la légalité, alors que le marché des plantes médicinales n’en finit plus de croître.

L’Alchimiste, à Martigny, dans le canton suisse du Valais, ne désemplit pas. Français et Suisses y trouvent un large choix d’herbes médicinales et des conseils avisés. « On me demande d’ouvrir une herboristerie de l’autre côté de la frontière, sourit Florence Kuonen, la patronne, herboriste-droguiste. Si j’ouvrais la même, je deviendrais hors-la-loi ! »

En effet, selon la loi française, les herboristeries sont des boutiques d’herboriste… sans herboriste. Si cinq écoles en France assurent une formation à ce métier reconnu chez nos voisins européens et au Québec, il demeure illégal en France. Une situation que la Fédération Française des Écoles d’Herboristerie dénonçait en 2017 dans une lettre ouverte adressée aux députés et sénateurs de France.

Une mission d’information a été créée le mois dernier au Sénat pour « faire un état des lieux de l’herboristerie en France – métropolitaine et d’outre-mer – écouter les attentes de ses différents acteurs, producteurs, cueilleurs, grossistes, détaillants, redéfinir les métiers de l’herboristerie et clarifier le cadre législatif », résume Joël Labbé, sénateur écologiste du Morbihan et rapporteur de la mission. Les travaux ont débuté le 24 mai et pourraient bien aboutir à une nouvelle loi qui ramènerait officiellement les herboristes dans les herboristeries. « Mais il n’est pas question de recréer le métier d’herboriste tel qu’il existait avant 1941 », précise Joël Labbé.

Un métier devenu illégal sous Vichy

C’est l’un des plus vieux métiers au monde – il remonterait à l’homme de Neandertal –, devenu illégal en France sous Vichy avec la loi du 11 septembre 1941. Seuls les pharmaciens dont « la science [est] basée sur l’évolution de la chimie et de la médecine », souligne le texte de loi, exerçant en pharmacie, ont le droit de vendre les plantes médicinales autorisées en France (546 actuellement). Eux seuls ont le droit de donner des conseils sur leur usage et des indications sur leurs propriétés thérapeutiques : cela en fait ipso facto des médicaments.

Depuis 2008 cependant, 148 de ces plantes sont en vente libre, en l’état, sous forme de poudre ou d’extrait, ainsi que 500 sous forme de compléments alimentaires. Pour avoir fourni des renseignements sur les vertus de ces plantes, Jean-François Cavallier, gérant de l’herboristerie Larmignat à Châtellerault, diplômé en pharmacie, a été condamné en janvier 2018 pour « exercice illégal de la pharmacie ». Il ne lui suffit pas d’être pharmacien, encore lui faut-il exercer en pharmacie. Jean-Pierre Raveneau, docteur en pharmacie, gérant de l’herboristerie de la place de Clichy à Paris, a été maintes fois traduit en justice. Au Père Blaize, à Marseille, fondée en 1815, on ne craint pas ce genre de procès : c’est aussi une pharmacie.

Les plantes thérapeutiques, source de bienfait ou danger potentiel ?

Le succès croissant des plantes médicinales en fait un marché de niche rentable pour les pharmaciens. Selon les derniers chiffres fournis par AgriMer, 45 % des Français ont recours à la phytothérapie. Les ventes progressent de 2 % chaque année en volume. Le secteur de l’aromathérapie est très dynamique : le chiffre d’affaire cumulé des cinq premières entreprises françaises fournisseurs d’huiles essentielles en France a augmenté de 237 % en 5 ans. Dans le top 10, l’arbre à thé, la menthe poivrée, le ravintsara, le citron, la gauthérie, les eucalyptus radiés et globuleux, la citronnelle et le girofle.

« Ce qui est naturel [n’] est [pas] une assurance contre tout danger, alerte le Cahier n° 5 de l’Ordre national des pharmaciens. Les plantes médicinales contiennent des substances actives potentiellement dangereuses. (…) Elles peuvent interagir avec les médicaments. » « Par exemple, le millepertuis en vente libre peut réduire les effets contraceptifs de la pilule, explique Cyril Coulard, gérant du Père Blaize. Il est évident que l’achat de plantes médicinales ne peut se passer de conseils. »

« Herboristes et pharmaciens sont complémentaires »

« Aller en pharmacie pour être conseillée sur les plantes ? », s’étonne Brigitte, interrogée au sortir de l’herboristerie du Palais Royal. « Ah ! non, alors. Je n’ai rien contre eux, ni contre les médicaments chimiques. Mais pour mes petits bobos quotidiens, et pour ceux de mes enfants, je n’utilise que des plantes achetées là », dit-elle en montrant l’herboristerie.

« À partir des années 1970-1980, explique Ida Bost, auteur d’une thèse en ethnologie sur l’histoire de l’herboristerie, l’herboristerie s’est chargée d’un nouveau sens. La question fondamentale n’est pas de soigner, mais de prendre soin de soi. Toucher, sentir, goûter la plante participe à cela. On rétablit un lien avec la nature. »

« lI serait pertinent de créer le métier d’herboriste en France », estime Jean-Luc Fichet, sénateur du Finistère et vice-président de la mission d’information. « Herboristes et pharmaciens sont complémentaires. L’herboriste est au pharmacien ce que le psychologue est au psychiatre, il n’est pas question de concurrence entre les deux. Il faut faire exister légalement les cinq écoles françaises d’herboristerie, former les producteurs qui font de la vente directe à la ferme ou au marché, remettre de la connaissance ! »

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