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Herboristerie : les citoyens peuvent faire bouger le Sénat

KAIZEN – 27/09/2018 – Par Sabah Rahmani

Officiellement interdits en France depuis 1941 sous le régime de Vichy, les herboristes tentent depuis de faire reconnaître leur métier. Un combat de longue haleine qui a donné lieu à une nouvelle mission sénatoriale. Même si les recommandations offrent des pistes encourageantes sur les plantes médicinales, l’ordre des pharmaciens et l’ordre des médecins s’opposent toujours à la reconnaissance de la profession. Pour sortir de l’impasse, le sénateur écologiste Joël Labbé appelle les citoyens à interpeller les élus, au moment même où les herboristes les invitent à signer une pétition.

Née à l’initiative du sénateur écologiste Joël Labbé, rattaché au groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) du Sénat, la mission d’information sur « le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, une filière et des métiers d’avenir » a rendu publiques ses recommandations le mercredi 26 septembre dernier. Depuis avril 2018, la mission s’était donné pour objectif de mettre à plat toute la filière plantes en France, de la production à la consommation, pour en saisir les enjeux sociétaux, sanitaires et environnementaux.

Après avoir rencontré et écouté une centaine d’acteurs (producteurs, cueilleurs, herboristes, pharmaciens, médecins, chercheurs, laboratoires…), la mission a établi 39 suggestions en vue d’une future proposition de loi. Partant du constat d’une longue tradition de soins populaires et d’un réel engouement ces dernières années pour l’utilisation des plantes médicinales, la mission suggère notamment de porter, avec d’autres pays, l’herboristerie sur la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco. Elle souhaite également créer un label « plantes de France », avec une production de qualité en consolidant la filière bio et la cueillette durable.

La mission propose aussi « de réexaminer la liste des 148 plantes médicinales “libérées” du monopole pharmaceutique, pour y intégrer des plantes d’outre-mer ou des plantes ne présentant pas de risque d’emploi, en étudiant la possibilité de compléter leurs usages traditionnels reconnus et validés concernant “les petits maux du quotidien” ». Depuis 2008, les 148 plantes dites « libérées » sont en effet commercialisables en dehors des pharmacies pour un usage alimentaire. Pour autant, les conseils en matière de santé sur l’utilisation de ces plantes, même en matière de prévention, ne sont pas autorisés en dehors des prescriptions médicales ou pharmaceutiques. Au risque, pour les herboristes, d’être poursuivis en justice.

Une aspiration de la société

Alors que, sur le terrain, ces derniers n’ont jamais cessé d’exister en France, et que la demande des citoyens est de plus en plus importante, la question de la reconnaissance de la profession fait toujours débat. Le sénateur Joël Labbé a dénoncé publiquement la posture de refus systématique du conseil de l’ordre des pharmaciens et de celui des médecins lors des auditions de la mission. De son côté, Corinne Imbert, sénatrice (LR), présidente de la mission d’information, pharmacienne de profession, a tenté de tempérer l’objection en soulignant qu’individuellement de nombreux pharmaciens et médecins ne partagent pas l’avis de leur ordre.

Sur la réhabilitation du métier d’herboriste, la mission reste donc encore divisée : « D’un côté, cette évolution reviendrait à reconnaître une réalité de fait, en réponse aux attentes des consommateurs de disposer d’une information sérieuse sur l’usage des plantes médicinales, aujourd’hui omniprésente sur Internet mais non canalisée », peut-on lire sur la note de synthèse de la mission. Et « de l’autre, elle suscite des réticences, de la part des représentants des professionnels de santé qui estiment qu’une profession intermédiaire, autonome des pharmaciens, ne serait pas à même de protéger la santé publique en raison des actions complexes des plantes ».

Pour Thierry Thévenin, président de la Fédération des paysans-herboristes, auteur du Plaidoyer pour l’herboristerie (Actes Sud) et interrogé par la mission : « Il faut crever l’abcès, apaiser les défiances et rassurer. Aujourd’hui, nous avons un tas d’acteurs différents autour des plantes qui peuvent cohabiter. Chacun a sa place car nous sommes, en réalité, complémentaires. » Il rappelle, non sans regrets, « qu’il existe des missions parlementaires pour rétablir le métier d’herboriste depuis 1946. Au bout de 80 ans, on en est toujours là ! »

Pour sortir de l’impasse, le sénateur Joël Labbé a souhaité « créer cette mission pluripolitique pour être à même de coconstruire avec les acteurs de terrain des solutions, mais aussi ouvrir le débat public au niveau national ».  Avec des comptes-rendus et des auditions filmées ouvertes à la presse et au public, l’objectif était que « les citoyens puissent aussi s’exprimer pour répondre à l’aspiration de la société sans négliger les questions de santé et d’environnement, en interpellant les élus. Car nous sommes dans l’urgence et je suis persuadé que c’est l’opinion publique qui peut faire bouger les lignes. »

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