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Isabelle Saporta : « Les politiques ne font plus leur métier »

SUD RADIO – Par Jérémy Jeantet – 27/02/2017

Sud Radio : Vous nous parlez du poids de ces lobbies qui sont partout à glisser à l’oreille de nos législateurs ce qu’il est bon d’écrire dans la loi.

Isabelle Saporta : C’est, hélas, ce qui décrédibilise tous les jours la parole politique. Prenez l’exemple des perturbateurs endocriniens. On parle du lobbying au niveau européen. Ce sont ces molécules qui miment les hormones et interfèrent avec notre système endocrinien. On sait aujourd’hui que ça déclenche des cancers hormono-dépendants, type cancer du sein ou cancer de la prostate. On sait aujourd’hui que ça crée de l’infertilité, on sait que ça crée des malformations génitales pour les petits enfants. Donc on sait que c’est très dangereux. En 2009, la Commission européenne dit ‘C’est très dangereux, on va faire des critères de toute urgence’. On est en 2017, les critères ne sont toujours pas sortis. Et quand il y a eu une évocation de ces critères il y a quelques mois, on s’est rendus compte que les lobbyistes avaient réussi à faire en sorte que les trois quarts des pesticides perturbateurs endocriniens ne soient plus concernés par la législation. On interdit quoi ? De qui se moque-t-on ? C’est juste inouï et ça fait que l’Europe perd toute crédibilité auprès de nos concitoyens et c’est bien normal.

Vous citez d’autres exemples, comme celui des cantines bio…

C’est la même histoire. En 2009, au Grenelle de l’Environnement, on annonce 20 % de bio dans les cantines en 2012. En 2017, on est à 3,2 %. C’est dérisoire. Vous avez des gens qui bataillent, comme la députée de Dordogne Brigitte Alain, qui dit que manifestement, ça ne marchera pas par l’incantation, donc il faut la loi. Elle a raison. Elle se fait retoquer sa loi trois fois, elle parvient à la faire passer et le Conseil constitutionnel le fait tomber. On voit bien comment ça fonctionne. Ils retardent en permanence. Ils créent le doute et on retarde.

Comment les lobbies procèdent-ils pour infléchir le sens de la législation ? Quelles sont les plus grosses ficelles ?

Par la fabrique du doute. Reprenons l’histoire des perturbateurs endocriniens. Vous avez une centaines de chercheurs qui se sont élevés en disant ‘ça suffit’. Vous avez des scientifiques qui sont achetés par des industriels et qui donnent des conclusions qui vont toujours dans le sens des industriels. Avec cela, les politiques peuvent dire ‘On va réfléchir’. Ce n’est pas science contre science et étude contre étude, c’est étude vendue contre étude propre. Sauf que ça donne des armes aux politiques pour traîner les pieds. Le grand truc des lobbyistes, par exemple sur l’étiquetage nutritionnel des produits, est de dire ‘On pèse 500 000 emplois en France, 170 milliards de chiffre d’affaires, donc vous n’allez pas nous enquiquiner avec votre étiquetage nutritionnel, parce qu’on n’en veut pas’. C’est du chantage à l’emploi.

Il y a une pratique qui commence à être connue parce qu’il y a des preuves, celle des amendements clés en mains. Qu’est-ce que c’est ?

Les élus légifèrent sur des choses assez complexes et certains lobbyistes, par exemple l’ANIA, l’industrie agroalimentaire, pour ces histoires d’étiquetage nutritionnel, qui dit ‘Ne vous cassez pas la tête, on a déjà préparé l’amendement, il n’y a plus qu’à le faire passer’. C’est extrêmement angoissant. Ça veut dire que nos politiques, nos députés, ont renoncé à leur pouvoir critique et qu’ils sont dans les mains de ces gens-là.

A leur décharge, on peut dire qu’ils doivent légiférer sur de très nombreux sujets, parfois extrêmement pointus, extrêmement techniques. Ils n’ont pas toujours le temps de se plonger à fond dans les sujets. Les lobbies font leur métier en leur apportant des dossiers qui leur permettent d’y voir clair.

Je suis hélas d’accord avec vous. Les lobbyistes font leur métier, le problème, c’est que les politiques ne font plus le leur. C’est à eux que j’en veux. Vous êtes lobbyistes, votre grand truc, c’est de faire croire que blanc, c’est noir. Je ne ferais pas ce job, mais c’est le leur. Ils le font bien, tant mieux pour eux. Le problème, c’est que le politique, en face, devrait réclamer des experts indépendants. C’est ça qui est très gênant, il y a une vraie responsabilité politique aujourd’hui parce que ça décrédibilise la parole politique.

Comment en sort-on ? Comment réduire le pouvoir des lobbies et redonner aux politiques ce courage dont vous dîtes qu’ils manquent ?

Je pense qu’en faisant savoir, on responsabilise les hommes politiques. On ne peut plus faire ce genre de choses en toute impunité aujourd’hui, ce n’est plus possible. Il faut faire en sorte de mettre en avant les députés qui font leur job, parce qu’il y en a. Joël Labbé, sénateur du Morbihan, qui se bat contre les insecticides tueurs d’abeilles. Brigitte Alain sur la cantine scolaire. Olivier Falorni qui s’est battu pour qu’on sache ce qui se passe dans les abattoirs. Il y en a des courageux, on peut le faire bien son job. Le tout, c’est d’avoir un peu de courage. Ce n’est pas compliqué. Il y en a qui y arrivent, donc c’est possible. Joël Labbé me disait ‘On a plein de leviers en main, le tout, c’est de vouloir se battre’. Moi, j’ai envie que nos députés aient envie de se battre, parce que nous, concitoyens, on se bat, on y va, on essaie de faire avancer les choses. On le fait tous à notre niveau. Qu’ils se mouillent un peu.

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