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La Cour de Justice de l’Union européenne doit réglementer les «OGM cachés»

Euractiv – Tribune publiée le 30/01/2017

Neuf organisations de la société civile française réclament un moratoire sur la vente et la culture des « OGM cachés » auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne. La décision aura une incidence sur la réglementation européenne qui encadrera les OGM issus des nouvelles techniques de manipulation génétique.

Depuis plusieurs années, des « OGM cachés » sont cultivés en Europe. Il s’agit principalement de colzas et de tournesols dont le génome a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement pour les rendre tolérants à certains herbicides. Ces Variétés rendues Tolérantes aux Herbicides (VrTH) sont de véritables éponges à pesticides puisque, à l’instar de la plupart des OGM transgéniques, elles sont faites pour survivre aux pulvérisations d’herbicides qu’elles absorbent. Ces « OGM cachés » sont cependant arbitrairement exclus du champ d’application de la réglementation européenne sur les OGM, sous le seul prétexte qu’ils ont été obtenus par mutagenèse, une vaste famille de techniques autres que la transgénèse pour la majorité non naturelles. Ils échappent ainsi à toute évaluation sur la santé et l’environnement, à toute obligation d’étiquetage, de traçabilité, de suivi et d’information des utilisateurs et des consommateurs.

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Après de multiples démarches, neuf organisations membres de l’Appel de Poitiers (collectif constitué en 2012 après avoir lancé un « Appel pour sauver la biodiversité ») ont décidé en février 2015 d’engager un recours juridique auprès du Conseil d’État français afin d’obtenir un moratoire sur la commercialisation et la culture de ces VrTH. Dans une démarche exceptionnelle, le Conseil d’État a diligenté en juin 2016 une enquête complémentaire, lors de laquelle les organisations requérantes et deux experts scientifiques ont pu argumenter au niveau juridique sur la violation du principe de précaution et les défauts de transcription de la réglementation internationale en droits européens et français, et au niveau scientifique, sur les études qui démontrent les risques de ces « OGM cachés » pour la santé et l’environnement.

>> Lire : OGM: le CETA, un cadeau aux multinationales biotech

En septembre 2016, le Conseil d’Etat a renvoyé le dossier devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) en lui posant quatre questions préjudicielles. Désormais, la CJUE doit trancher pour déterminer si elle met fin à l’exception qui permet aux OGM issus des manipulations génétiques au laboratoire par mutagenèse in vitro d’échapper à toute réglementation, et donc si elle décide de faire rentrer ces OGM dans le champ d’application de la directive européenne 2001/18 qui réglemente les OGM. Elle doit également se prononcer sur les nouvelles techniques de modification du génome comme Crispr/Cas9, abusivement dénommées NBT (New Breeding Techniques). En effet, sans évaluation ni traçabilité ni suivi, la dissémination des OGM obtenus par ces techniques remettrait en cause le principe de précaution. Selon Me Guillaume Tumerelle, avocat des associations requérantes, « Le Conseil d’État entend donc inciter la Cour de justice de l’Union européenne à faire application du principe de précaution. Il s’agit d’une très grande victoire quand certains voudraient remplacer ce principe de précaution par le principe d’innovation ». Cette saisine pourrait en conséquence freiner, voire remettre en cause, la course à laquelle se livrent les industriels de la semence (de plus en plus sous le contrôle des multinationales de la chimie productrices des pesticides) pour ne pas soumettre les plantes et les animaux obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique à la législation sur les OGM.

Introduire des OGM en Europe et dans le monde ne se réduit pas simplement à l’introduction de modifications génétiques, car les transformations sociales et culturelles engendrées par ces procédés techniques modifient les sociétés (de nouveaux acteurs apparaissent, quand d’autres disparaissent). En excluant certaines techniques du champ d’application de la directive qui encadre les OGM, un tapis rouge est déroulé aux industriels qui prennent des décisions à la place des personnes qui vont alors « subir » ces choix techniques. Une considération d’ordre éthique, et plus particulièrement dans le cadre de l’éthique globale, devrait encadrer cette prise de décision. Ainsi, la décision d’introduire ou d’exclure des OGM devrait se faire dans la recherche de ce qui est vital pour tous.

Les organisations paysannes et citoyennes françaises requérantes se saisissent de l’opportunité donnée par le juge de questionner le statut des « nouvelles techniques » pour mener publiquement un débat qui concerne chaque citoyen et dans lequel l’expression démocratique a été fortement remise en cause. C’est ici l’occasion pour la CJUE de reconnaître le statut OGM de toutes les plantes issues de ces procédés non naturels de modification génétique. Les agriculteurs et les consommateurs ont le droit d’être informés de ce qu’on leur vend pour cultiver ou pour manger. Seule la traçabilité rendue obligatoire par l’application de la réglementation permettra d’identifier ces semences et les aliments qui en sont issus.

Cette démarche juridique a maintenant un retentissement européen : la décision de la Cour sera juridiquement contraignante pour l’ensemble des pays membres de l’Union européenne (Ainsi, en plus des organisations requérantes, les États membres, la Commission, le Conseil et le Parlement peuvent contribuer à la procédure qui se tiendra devant la CJUE).

Parce que :

la mutagenèse « assistée par marqueurs sur des cellules multipliées in vitro hors de la plante », seule technique désormais utilisée par les industriels, n’a plus rien à voir avec des mutations naturelles ou avec la mutagenèse « in vivo sur plante entière » du XXesiècle ;
ces nouvelles techniques de mutagenèse créent autant, voire plus, d’effets non intentionnels indésirables et non apparents à court terme que la transgenèse (Batista et al. 2007) ;
la réglementation française et européenne, qui exclut la mutagenèse de son champ d’application depuis 1990, n’a pas pu prendre en compte ces nouvelles techniques de laboratoires et, en conséquence, ne respecte pas le principe de précaution tel qu’il est inscrit dans le traité de fonctionnement de l’UE ;
les réglementations française et européenne ne sont plus adaptées par rapport à l’évolution des techniques de manipulation génétique ;
le protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques et l’information sur les organismes vivants modifiés par « application de techniques in vitro à leur ADN » n’est pas respecté ;

Nous :

avons la volonté de démontrer et de faire reconnaître que les plantes issues de la mutagenèse in vitro et brevetées sont des OGM qui doivent entrer dans le champ d’application de la réglementation 2001/18 afin d’être évaluées et, si elles sont disséminées, être étiquetées, tracées et suivies ;
refusons la volonté des industriels de la semence de rattacher la réglementation des nouvelles techniques non naturelles de modification génétique à l’exception de la mutagenèse, pour éviter toute évaluation et information à leurs « nouveaux OGM » ;
voulons une agriculture qui produit de la nourriture saine et respectueuse de l’environnement, et non un système agricole qui produit des profits à court terme pour les détenteurs des brevets.

>> Lire : La justice française s’en remet à la CJUE sur les « OGM cachés »

Cette saisine de la CJUE par le Conseil d’État français est une opportunité pour enfin appliquer la réglementation OGM aux plantes issues de tout procédé de modification génétique in vitro, qu’il s’agisse de mutagenèse ou d’autres nouvelles techniques.

Sans attendre les conclusions de la CJUE, nous demandons aux autorités de chaque pays européen d’appliquer, au nom du principe de précaution, la réglementation OGM à tous les « OGM cachés ».

Nous, soussignés, soutenons les demandes formulées par les neuf organisations françaises (Amis de la Terre France, Collectif vigilance OGM et Pesticides 16, Confédération paysanne, CSFV 49, Fédération Nature et Progrès, OGM Dangers, Réseau Semences Paysannes, Vigilance OG2M, Vigilance OGM 33) à l’origine de la saisine de la CJUE :

Marie-Charlotte Anstett, Chargée de Recherches CNRS, Biogéosciences, UMR CNRS/UB 6282, Université de Bourgogne
Sophie Arnaud-Haond, Ifremer, UMR MARBEC (Marine Biodiversity, Exploitation and Conservation)
Marie-Christine Blandin, sénatrice écologiste du Nord
Christophe Boëte, chargé de recherche, IRD Marseille
Corinne Bouchoux, sénatrice, membre du groupe écolo
José Bové, député européen Europe Écologie Les Verts
Daniel Brèthes, biochimiste, directeur de recherche émérite CNRS, Bordeaux
Lounès Chikhi, directeur de recherche CNRS, Laboratoire Evolution et Diversité Biologique, Toulouse
David Cormand, secrétaire national d’Europe Écologie Les Verts
Frantz Depaulis, UMR8197, Institut de biologie de l’Ecole Normale Supérieure, équipe Eco-Evolution Mathématique.
Laurence Després, Responsable Master Biodiversité Ecologie Evolution (BEE), Laboratoire d’Ecologie Alpine (LECA), UMR CNRS 5553, Université Grenoble Alpes
Cyril Dutech, INRA, UMR 1202 BIOGECO
Bruno Fady, INRA Avignon, UR Ecologie des Forêts Méditerranéennes
Christian Gautier, professeur à la retraite, ancien directeur du LBBE (UMR CNRS 5558) et ancien président de la section  29 du CNRS (Biodiversité, évolution et adaptations biologiques : des macromolécules aux communautés)
Pierre Gérard, MCF AgroParisTech – Dpt SVS, UFR GEAP
Sophie Gerber, chercheuse en génétique des populations végétales, Inra Bordeaux
Isabelle Goldringer, chercheuse en génétique des populations
Annabelle Haudry, enseignante-chercheuse en génomique des populations à l’Université Lyon1
Claude Henry, professeur développement durable, Sciences-Po et Université de Columbia, New York
Frédéric Jacquemart, président du Groupe international d’études transdisciplinaires
Jean-Paul Jaud, producteur- réalisateur
Joël Labbé, sénateur du Morbihan
Corinne Lepage, ancienne ministre, présidente d’honneur du Criigen
Hugo Mathé-Hubert, BU-G19, postdoc, eawag (Swiss Federal Institute of Aquatic Science and Technology)
Laurent Palka, Maître de conférences au Muséum national d’Histoire naturelle, Paris
François Papy, directeur de recherches honoraire de l’Inra, membre de l’Académie d’Agriculture.
Michel Raymond, directeur de recherche CNRS, Institut des Sciences de l’Evolution, Montpellier
Michèle Rivasi, députée européenne Europe Écologie Les Verts
Pr. Gilles-Eric Séralini, Université de Caen, Institut de Biologie
Joël Spiroux de Vendômois, président du CRIIGEN
Jacques Testart, directeur honoraire de recherches à l’Inserm
François Veillerette, directeur de Générations Futures, président de Pesticide Action Network Europe
Christian Vélot, généticien moléculaire, Université Paris-Sud
Michel Volovitch, professeur émérite, ENS Paris
Sophie Vriz, professeur à l’Université Paris 7 – Denis Diderot Centre Interdisciplinaire de Recherche en biologie (CIRB) CNRS UMR
Maurice Wintz, sociologue, Université de Strasbourg

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