Débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle

« Il est de la responsabilité des politiques de lutter contre la mainmise de quelques-uns sur la biodiversité »

Monsieur le président, monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

Je veux saluer l’initiative du groupe CRC, qui nous permet de rouvrir ce débat bien nécessaire.

Les réglementations en matière de semences et d’obtentions végétales s’établissent dans un cadre européen et international. Or le cadre actuel, complexe, est particulièrement complaisant avec les aspirations des grosses firmes semencières.

En France, la loi relative aux certificats d’obtention végétale, publiée le 8 décembre 2011, n’est pas satisfaisante et, si elle permet d’éviter la brevetabilité du vivant, il faut constater qu’elle a provoqué une très vive émotion dans une partie du monde agricole et de la population, mais aussi dans une partie non négligeable de la communauté scientifique.

Privilégiant nettement les droits des obtenteurs, cette loi nie un des droits fondamentaux des agriculteurs en leur interdisant d’utiliser leur propre récolte de variétés protégées par un COV comme semences. Cette interdiction vaut pour la majorité des espèces cultivées à l’exception de vingt et une d’entre elles, dont l’utilisation est soumise au paiement de royalties lors de chaque ensemencement.

Contrairement à ce qui a été trop souvent affirmé, la loi ne se contente pas d’adapter le droit français au regard de nos engagements européens et internationaux : elle renforce les droits des obtenteurs bien au-delà de ce qui est exigé par ces engagements.

Une loi équitable et équilibrée aurait prévu une juste part de revenus pour l’obtenteur d’un COV, mais pas plus. La loi de 2011 reconnaît en effet le travail« d’obtention », c’est-à-dire le travail qui consiste à reproduire une variété végétale en la sélectionnant de manière à ce qu’elle devienne« distincte, homogène et stable », travail qui mérite rémunération, mais la légitimité de la rémunération de l’obtenteur doit se limiter au service qu’il ajoute à un bien commun : pas moins mais, surtout, pas plus !

Or cette loi est dangereusement déséquilibrée. Je ne citerai que quelques exemples.

Premièrement, elle refuse aux agriculteurs le droit, désormais réservé aux seuls obtenteurs, d’utiliser une variété protégée pour en sélectionner une autre.

Deuxièmement, elle généralise aux vingt et une espèces concernées par la loi dite COV le paiement de la contribution volontaire obligatoire blé tendre, alors que cette contribution vise aussi les agriculteurs qui utilisent les dernières variétés non protégées par un COV encore disponibles ou des semences paysannes qu’ils ont eux-mêmes sélectionnées et renouvelées.

Troisièmement, elle ouvre la porte aux brevets français et européens qui interdisent l’utilisation de toute semence de ferme ou paysanne porteuse de gènes brevetés sans la volonté de l’agriculteur.

Quatrièmement, elle ouvre également la porte à un nouveau brevet unitaire européen qui menace d’interdire toutes les semences de ferme de toutes les espèces.

In fine, qu’offre cette loi ? Elle garantit la distinction, l’homogénéité et la stabilité des semences et, de ce fait, contribue à leur uniformisation.

Il faut l’admettre, elle permet à un certain type d’agriculture, qui a son importance, d’orienter clairement sa production. Mais cela convient surtout aux firmes semencières, aux firmes productrices d’intrants et aux firmes publicitaires chargées de promouvoir les nouveaux produits.

Cette loi conduit ainsi à l’uniformisation et à la réduction des variétés de plantes et de graines comestibles, ce qui ne va ni dans le sens de l’intérêt général ni dans celui de l’intérêt supérieur de l’humanité.

À titre d’exemple, la perte de biodiversité cultivée est estimée à 75 % ces cinquante dernières années par une étude de la FAO. Or l’humanité a besoin de cette diversité, qui est un facteur d’adaptation aux climats, aux sols, aux terroirs, aux différents milieux.

Toujours selon la FAO, cinq grandes compagnies semencières contrôlent aujourd’hui 75 % de la semence potagère mondiale. Or le vivant n’est pas un secteur dans lequel le marché doit faire la loi.

Il a fallu 3,5 milliards d’années d’interactions du vivant pour engendrer la diversité génétique. Puis les sociétés successives ont identifié, sélectionné, échangé cette matière durant plusieurs milliers d’années. Ce bien commun naturel, mais aussi culturel, est patrimoine de l’humanité. Il nous aété transmis et nous avons le devoir de le léguer aux générations futures.

C’est pourquoi nous trouvons inacceptable que la loi entrave les autres pratiques culturales, c’est-à-dire celles des paysans qui échangent régulièrement leurs semences, renouvelant ainsi la variabilité et la diversité des populations indispensables à l’adaptation aux milieux.

Il est de la responsabilité des politiques de lutter contre la mainmise de quelques-uns sur la biodiversité, de garantir le respect des droits de l’ensemble des acteurs, qu’ils soient petits ou grands, ainsi qu’un modèle agricole soutenable et solidaire, à l’échelle tant nationale que mondiale. Cela implique notamment de soutenir le métier de paysan, et non de le fragiliser plus encore.

La loi relative aux certificats d’obtention végétale du 8 décembre 2011 doit donc être ajustée. Elle donne un droit exclusif à l’obtenteur sur la production, la reproduction et la commercialisation des semences ou des plants de sa propre variété, ainsi que sur l’utilisation commerciale de sa dénomination.

La loi, en excluant les semences de ferme et les variétés de ferme, en fait de facto des contrefaçons des variétés commerciales. Pourtant, ces semences« illégales » jouent un rôle que ne peuvent pas remplir les semences commerciales d’obtenteurs : adaptation locale des cultures, limite de la dépendance aux intrants, préservation des populations d’insectes pollinisateurs et de l’ensemble de la biodiversité.

Les semences et les variétés de ferme sont un complément irremplaçable et non un concurrent qu’il faut opposer aux semences d’obtenteurs.

C’est pourquoi nous, écologistes, demandons que soient prises en compte les populations variables ou évolutives multipliées en pollinisation libre ou en sélection massale par les agriculteurs.

Cet élargissement ne peut se faire uniquement par décret, car il nécessite la modification de l’article L. 623.1 du code de la propriété intellectuelle. Cependant, un décret pourrait être pris rapidement afin de mieux protéger les semences de ferme et les semences anciennes.

Parmi les décrets attendus, il en est un en projet sur l’amélioration de la politique des semences. Il met en œuvre l’article 117 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement et l’article 31 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.

Sa publication avait été bloquée par votre prédécesseur, monsieur le ministre. Il vous appartient de le rendre d’actualité et cela en procédant, comme à votre habitude, à de larges consultations, afin d’évoluer vers une meilleure protection de la biodiversité culturale et de la biodiversité globale, qui constituent, je le répète, un patrimoine inestimable pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Pour accéder au compte rendu intégral complet de la séance.

Communiqué

Les commentaires sont fermés.

ouvrir