Pour plus de transparence envers le consommateur, l’étiquetage des huîtres est nécessaire

Le débat autour du projet de loi Consommation, qui a eu lieu au Sénat la semaine dernière, a laissé une large place au besoin d’une plus grande transparence et traçabilité sur l’origine et le mode de production des biens, en particulier dans le domaine de l’alimentation. Pour le consommateur, cela passe par une information claire et un étiquetage exigeant des produits. En ce domaine, si la France, étroitement liée aux décisions européennes, a une marge de manœuvre législative limitée,elle peut faire pression sur le Conseil européen et la Commission, à l’instar de son action ces derniers mois en faveur de l’étiquetage des produits carnés. Le scandale de la viande de cheval, réveillant les consciences, a permis de faire peser les positions françaises à Bruxelles en faveur d’un réel étiquetage sur l’origine de la viande dans les plats préparés.

Malheureusement, il n’en va pas encore de même pour tous les produits. L’étiquetage des huîtres achetées à l’étal ou consommées en restauration, ou plutôt l’absence d’étiquetage mentionnant leur origine et leur variété en est un exemple fort. Par voie d’amendement au projet de loi Consommation, Joël Labbé, sénateur écologiste du Morbihan, a défendu l’étiquetage des huîtres pour une meilleure information du consommateur. Non adopté, cet amendement a toutefois permis de porter le sujet en débat dans l’hémicycle, et constituera un aiguillon utile pour faire avancer les négociations au niveau de l’Union Européenne.

Il existe aujourd’hui deux types d’huîtres creuses sur le marché : les huîtres diploïdes nées en mer, et les huîtres d’écloserie, diploïdes ou triploïdes. Les huîtres triploïdes sont parfois appelées « huîtres des quatre saisons ». Ces deux types de produit sont vendus sans distinction dans le commerce.

L’huître naturelle née en mer est un animal dont le matériel génétique est composé de dix paires de chromosomes. Comme l’homme, elle est « diploïde ». Pour l’huître triploïde, issue d’une manipulation biologique, ces dix paires sont remplacées par dix triplets de chromosomes. Cette opération est réalisée en écloserie par croisement entre des huîtres tétraploïdes possédant quatre lots de chromosomes et des huîtres naturelles diploïdes. Stérile, l’huître triploïde dépense peu d’énergie pour assurer sa reproduction. De ce fait, elle grandit plus vite que l’huître traditionnelle.

Aujourd’hui, l’huître triploïde prend de plus en plus d’importance sur le marché, représentant 30 % à 40 %, au moins, de la production française. Présentée avec beaucoup d’avantages, cette huître contribue cependant à l’affaiblissement du patrimoine génétique, du fait des sélections intensives réalisées. Sa production rend en outre la profession davantage dépendante des écloseries, à l’image des agriculteurs par rapport aux semenciers.

La généralisation de cette méthode d’élevage pose de fait un certain nombre de questions, soulevées notamment par les professionnels ayant choisi de poursuivre la culture de l’huître naturelle née en mer. Au-delà de la concurrence déloyale qu’ils subissent par rapport aux producteurs de « triplos », engendrée par une durée de production moindre (18-24 mois contre 3 ans pour une huître naturelle), ils dénoncent le risque de contamination du milieu naturel en quelques générations. La fertilité des huîtres triploïdes de seconde génération est en effet estimée à 13,4 %*…

D’un point de vue scientifique, les conséquences de ces manipulations sont très difficiles à estimer. Dès 2004, le Comité d’éthique et de précaution de l’INRA (COMEPRA) mettait en garde : « … l’innovation technologique représente un risque bien plus grand que celle de la recherche agronomique, une pollution génétique irréversible y étant (dans le milieu marin) bien plus vite arrivée. » L’IFREMER, détentrice du brevet de production des tétraploïdes depuis 2008, est souvent accusée par les professionnels d’être juge et partie sur ce dossier. Les fortes surmortalités constatées sur tous les bassins ces dernières années relancent la polémique.

Cette situation extrêmement préoccupante a des effets graves tant du point de vue économique que social et environnemental, dans un secteur déjà très affaibli. Si un vrai débat au niveau national et la mise en place d’un moratoire au nom du principe de précaution, comme cela avait été envisagé fin 2012 par le Comité National Conchylicole, semblent indispensables, le droit des consommateurs à être informés sur ce qu’ils mangent ne doit pas être oublié.

Les ostréiculteurs traditionnels se battent depuis des années pour un étiquetage différencié : huîtres nées en mer ou en écloserie, et dans le cas d’animaux nés en écloserie, que soit spécifié si l’animal est diploïde ou triploïde. Mais ils se heurtent à la réglementation européenne en vigueur. L’huître triploïde échappe à la réglementation des OGM (elle est issue d’une transgénèse et non pas d’une modification du patrimoine génétique), et n’est pas non plus considérée comme un « nouveau produit alimentaire » par l’Europe. Aucun étiquetage spécifique n’est alors imposé, seul un étiquetage sur la base du volontariat est permis.

Les élu(e)s EELV de l’Ouest entendent saisir Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche, pour porter la voix de la France devant la Commission européenne et faire valoir une meilleure information du consommateur français en ce domaine, comme l’a fait récemment Benoît Hamon, ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire, au sujet de la viande.

* GUO & ALLEN,1994, cités par IFREMER

 

Joël Labbé, sénateur EELV du Morbihan
Yannick Jadot,
député européen EELV
Sophie Sury,
ostréicultrice traditionnelle à Saint-Martin-de-Ré

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