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Arrêtés anti-pesticides : « Comment peut-on interdire à un maire de protéger sa population ? »

PUBLIC SÉNAT – 10/09/2019

Plusieurs élus, en majorité écologistes, et ONG ont affiché leur soutien aux maires à l’origine d’arrêtés interdisant l’épandage de glyphosate à moins de 150 mètres d’habitations. Ils appellent à amplifier le mouvement pour contraindre le gouvernement à être plus ambitieux sur le sujet.

Va-t-on assister dans les prochaines semaines à une multiplication des arrêtés interdisant l’utilisation de pesticides à proximité d’habitations et de bâtiments accueillant le public ? Les soutiens de Daniel Cueff, maire de Langouët, commune rurale de la périphérie de Rennes, espèrent que d’autres initiatives vont germer partout en France. En mai dernier, cet élu sans étiquette, mais engagé de longue date dans un programme écologiste, a signé un arrêté excluant les épandages de produits phytosanitaires (potentiellement volatils) à moins de 150 mètres de constructions. Contesté par la préfecture, ce texte a été suspendu le 27 août par le tribunal administratif.

Depuis, 52 maires au total ont pris des dispositions similaires, au nom du principe de précaution. Un département a même été plus radical, en bannissant l’usage des produits phytosanitaires à base de glyphosates ou contenant des perturbateurs endocriniens : il s’agit du Val-de-Marne, dont le conseil départemental est dirigé par le communiste Christian Favier.

« Rien n’a été fait par le gouvernement français », dénonce Michèle Rivasi

Un collectif de parlementaires et d’élus locaux de gauche – en majorité des écologistes – mais aussi des personnalités du monde associatif environnemental, s’est réuni ce 10 septembre à Paris pour manquer sa solidarité à l’égard de ces maires qualifiés de « très courageux ». L’eurodéputée (EELV) Michèle Rivasi, à l’origine de la rencontre, y voit là une mobilisation contre une « carence » de l’État. « Il y a une directive européenne depuis 2009 qui oblige les États à protéger les riverains, notamment les populations vulnérables. Or, rien n’a été fait par le gouvernement français. » Dans une décision, le Conseil d’État a d’ailleurs rappelé l’existence de cette directive (qui ne fixe toutefois aucune distance minimale). « Il faudrait qu’il y ait 36.000 maires qui prennent ce type d’arrêtés », explique la députée européenne. Pour rappel, le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC), mis sur pied par l’Organisation mondiale de la Santé, classe le glyphosate comme cancérogène probable.

Dans sa commune, Daniel Cueff, précise que ce sont des résultats d’analyses d’urine, menées par certains habitants, qui l’ont conduit à prendre son arrêté. « Ils mangent bio chez eux et à la cantine. Ils se sont aperçus qu’ils avaient un taux de glyphosate 30 fois supérieur à la norme. Les mamans étaient complètement effondrées. » L’édile peine à comprendre pourquoi sa décision d’instaurer une zone minimale entre le bâti et les zones d’épandage est contestée sur le plan juridique. D’autant que son choix ne ferme pas totalement la porte aux producteurs engagés dans ce type d’agriculture.

Un principe de précaution contre un risque cancérigène

Daniel Cueff, qui se dit convaincu d’obtenir gain de cause lors de l’audience car il ne fait que « respecter le principe de précaution », souligne combien la suspension de l’arrêté génère de l’incompréhension. Il affirme avoir reçu plusieurs 47.000 marques de soutien. « Une partie très importante se dit : comment ça se fait qu’on peut interdire à un maire de protéger sa population ? »

Depuis, d’autres élus locaux ont rejoint l’édile breton dans sa démarche. Comme Clothilde Ollier, maire (EELV) de Murles, un village de l’Hérault. « On a besoin d’être tous ensemble, c’est comme cela qu’on gagne […] J’ai été l’une des premières à me plaindre quand j’ai vu que l’interdiction du glyphosate n’était pas validée. Moi aussi je prends mes responsabilités, quand j’en ai la possibilité. J’ai pris cet arrêté. » Infirmière de profession, elle raconte avoir « compris l’ampleur du désastre », il y a 25 ans, quand elle travaillait dans une maternité. « On m’a présenté un bébé en me disant qu’il avait encore un micropénis […] Mes collègues, sur un air désabusé m’expliquaient : ce sont les enfants d’agriculteurs. Avec les produits qu’ils mettent dans les vignes, souvent la conséquence, c’est cette pathologie. » Parmi les 52 arrêtés instaurant une distance minimale à respecter, d’autres commencent à être menacés de suspension. La maire du Perray en Yvelines a par exemple été convoquée.

Le gouvernement propose une interdiction à moins de 5-10 mètres des habitations

Mis en cause dans son inaction, le gouvernement a fini par réagir, en proposant de fixer une distance minimale entre les constructions et les zones de pulvérisation de 5 à 10 mètres, suivant le type de culture et de matériel utilisé. Très critiqué par les associations environnementales, le projet de décret s’inspire de recommandations scientifiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Stephen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement, considère que cet avis ne peut pas servir de base de travail. « On a lu attentivement l’avis, c’est une expertise frelatée, politique, productiviste. L’Anses reconnaît que l’étude est basée sur des données limitées qui datent des années 1980. Depuis, il y a eu plus de 10 000 autorisations de mises sur le marché, les bras m’en tombent ! »

Le sénateur écologiste, Joël Labbé, auteur de la loi de 2015 interdisant l’emploi de pesticides par les services municipaux, ne décolère pas non plus contre ce projet de décret « absolument minimaliste ». « Ce n’est pas une décision formelle de l’Anses. Elle ramène d’ailleurs vers l’EFSA [l’Autorité européenne de sécurité des aliments, N.D.L.R.], ce sont des formes de recommandation a minima. »

« Submerger les tribunaux »

L’utilisation des pesticides va également faire l’objet de chartes départementales. Ces documents, fruits de négociations dans les préfectures entre élus, agriculteurs et ONG, l’emporteront sur le décret national, selon le ministère de l’Agriculture. À ce jour, huit départements en ont adopté une.

Le gouvernement a lancé en parallèle une consultation sur le site du ministère de l’Agriculture, qui sera clôturée fin septembre. Les citoyens sont invités à donner leurs avis sur le projet de décret, qui doit entrer en application le 1er janvier 2020. Les élus écologistes et les ONG, comme Générations futures, appellent à « participer massivement » à cette consultation publique, bâtie sur le même modèle que le grand débat national du printemps. Christian Métairie (EELV), à la tête de la mairie d’Arcueil (Val-de-Marne) encourage ses collègues maires à faire preuve de la même stratégie, en signant le plus possible d’arrêtés limitant le champ d’utilisation des pesticides. « Il faut submerger les tribunaux administratifs », appelle-t-il.

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