Bassin de Thau : star des années 2000, l’huître triploïde est sur la sellette

MIDI LIBRE – Par PATRICE CASTAN

Créée par Ifremer, cette huître stérile – qui représenterait au moins 50 % de la production de Thau – reste charnue l’été, période de reproduction, pour régaler les vacanciers. Mais pose bien des questions.

L’exploitation de l’huître triploïde dans les bassins d’élevage français présente-t-elle des risques ? Le monde ostréicole s’interroge. Le 12 mai, la question a même été posée au Palais du Luxembourg par le sénateur écologiste du Morbihan, Joël Labbé, puis relayée par François Commeinhes, qui a précisé les enjeux.

1 – Stérile

Pour mémoire, l’huître triploïde, dite aussi des “Quatre saisons”, a été développée par Ifremer à la fin des années 1990 afin de permettre aux professionnels de proposer une huître “consommable” toute l’année. Dix mois sur douze, cette dernière ne se distingue pas de l’huître issue du captage naturel (larves prélevées dans le milieu), la diploïde. Or, au début de l’été, quand cette dernière se charge de laitance avant le frai, la “triplo” ne fait toujours que de la chair. Et lorsque, après la reproduction, la diploïde, épuisée, est maigre et salée, la triploïde est toujours aussi alléchante (et pour cause : stérile, elle ne produit pas de laitance). En juillet et août, les vacanciers peuvent donc s’en régaler. Du reste, elle pousse de 30 à 40 % plus vite : elle arrive à taille commercialisable en à peine 8 à 10 mois sur le bassin de Thau, dont la moitié des huîtres seraient aujourd’hui des triploïdes.

2 – OGM ou pas OGM ?

Bien qu’issues d’une manipulation génétique, les huîtres triploïdes ne sont pas des organismes génétiquement modifiés (OGM). François Commeinhes l’a rappelé le 12 mai au Sénat. Henri Grizel, l’ancien patron d’Ifremer Sète, lui emboîte le pas : « Créer un OGM, c’est prendre des chromosomes de deux espèces qui n’ont rien à voir. Par exemple appliquer à un végétal un gène d’une autre espèce végétale pour sa résistance à tel ou tel produit, telle maladie. Là, ce n’est pas le cas, la truite triploïde existe aussi, et ce n’est pas un OGM. » Pas plus que les bananes, pommes de terre, tomates, pour lesquelles cette manipulation est souvent la règle.

3 – Comment la triploïde est-elle née ?

Pour obtenir la “triplo”, Ifremer a breveté puis développé de super-géniteurs femelles, les tétraploïdes, présentant quatre chromosomes. Chaque année, l’institut en vend quelques spécimens aux écloseries, qui procèdent à leur fécondation avec des diploïdes (huîtres “classiques”) mâles. On obtient les fameuses “triplo” (trois chromosomes), qui présentent tous les avantages pré-cités. Mais qui sont stériles. Et rendent donc le producteur dépendant des écloseries pour ensemencer.

4 – Étiquetage ou pas ?

Depuis 1997, un règlement européen oblige les États membres à mettre en place un étiquetage circonstancié des OGM. Or, si les huîtres triploïdes n’en sont pas, François Commeinhes notait tout de même le 12 mai au Sénat : « Ne seraient-elles pas, au minimum, biotechnologiquement manipulées ? Auquel cas elles relèveraient de la réglementation sur les novels foods (nouveaux produits alimentaires). »
Bruxelles avait estimé en 2002 que la “triplo” ne nécessitait pas d’étiquetage particulier. Toutefois, si étiquetage il devait y avoir, l’élu et les professionnels de Thau semblent s’accorder sur une option moins traumatisante que la désignation “huîtres triploïdes”, « susceptible de générer un boycott ». D’autant que la vente de fruits et légumes triploïdes n’étant pas assortie d’un étiquetage particulier, l’imposer aux huîtres paraît bien injustifié. Tout au plus pourrait-on imaginer, a proposé François Commeinhes, d’afficher une distinction : “huîtres issues d’écloserie” (pouvant être diploïdes ou triploïdes) et “huîtres de captage naturel” (forcément diploïdes).

 5 – Aurait-elle favorisé le développement de l’herpès virus ?

Le tribunal de Rennes et la cour d’appel de Bordeaux ont été saisis d’une plainte de l’association Ostréiculteur traditionnel. Elle reproche à Ifremer une « négligence sanitaire depuis la commercialisation de l’huître des écloseries ». Les plaignants estiment que l’explosion de la proportion de triploïdes a fragilisé le “cheptel”. Et favorisé les ravages de l’herpès virus, par exemple (il tue juvéniles et huîtres commercialisables depuis 2008 sans qu’une solution ait pu être trouvée) ? Sur ce sujet, Philippe Ortin, le président du Comité régional conchylicole (CRC), qui sera au Sénat le 10 juin pour un nouveau débat, est circonspect : « Rien ne prouve que le virus se soit propagé plus vite du fait de l’omniprésence de triploïdes. Mais rien ne prouve le contraire non plus… »

Henri Grizel, l’ancien d’Ifremer, est plus catégorique : « Dans les années 1990, les huîtres triploïdes n’existaient pas encore et pourtant, les huîtres naturelles mouraient déjà. Et l’herpès virus était identifié. » Aujourd’hui, il rappelle qu' »à l’époque où les producteurs ensemençaient essentiellement grâce au captage naturel, on perdait 50 % des coquillages entre la larve collectée et l’huître de 18 mois. Et on trouvait cela normal. » Non, pour Henri Grizel, ce qui a probablement favorisé la propagation de l’herpès virus est la conjonction de changements climatiques, de trop nombreux transferts de marchandises et plus encore la surcharge des bassins d’élevage.

6 – Vers un scénario à la Monsanto ?

Pour le président du CRC, Philippe Ortin, plus que les triploïdes, les tétraploïdes, ces super-géniteurs femelles, sont à craindre. Même si, une fois utilisés par les écloseries pour créer les “triplos”, ceux-ci sont restitués à Ifremer et/ou détruits, « retrouver une tétraploïde en milieu naturel serait une catastrophe. Elle se croiserait avec les diploïdes, créant des “triplo”, rendrait les huîtres naturelles stériles et les producteurs entièrement dépendants des écloseries. » Un scénario à la Monsanto dont le spectre pourrait pousser le Comité national de la conchyliculture à racheter le brevet des super-géniteurs qui doit tomber cette année dans le domaine public, afin de maîtriser directement ce risque.

 7 – Surproduction

Alors que l’association Ostréiculteur traditionnel demande pour l’heure un moratoire sur la fourniture de triploïdes par les écloseries (qui pourraient continuer à produire de la diploïde), Philippe Ortin pointe l’ultime défaut de la “triplo” : « Le moindre ralentissement dans l’écoulement de la marchandise et nous sommes en surproduction. C’est normal, avec une huître qui, ici, pousse en 8 à 10 mois. Peut-être la question de la proportion maximale de triploïdes dans les élevages mérite-t-elle aussi d’être posée. » Le débat est ouvert.

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