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Ces élus, militants et habitants qui traquent les villes encore adeptes des pesticides chimiques

FRANCE INTER – 01/07/2019

Alors que la loi interdit aux communes d’utiliser des produits chimiques pour entretenir les espaces publics, comme les parcs ou le long des trottoirs, des vidéos, photos ou cartes en ligne permettent de mettre en lumière des collectivités qui prennent quelques libertés.

Depuis le 1er janvier 2017, plus aucune commune n’a le droit d’utiliser ou de faire utiliser des pesticides de synthèse chimique dans ses espaces verts, promenades, forêts, cours d’écoles et le long des routes ou des fleuves. C’est inscrit dans la loi. Pourtant, toutes les mairies ne respectent pas vraiment cette obligation.

Ce que la loi interdit et ce qu’elle autorise

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte interdit les pesticides (herbicides, insecticides et fongicides) de synthèse chimique, comme glyphosate. L’État, les collectivités et les établissements publics ne doivent plus en acheter, en détenir ou en pulvériser dans les lieux accessibles ou ouverts au public.

La loi n’interdit pas de pulvériser des pesticides chimiques à l’intérieur des cimetières qui ne sont pas traversés par un chemin de promenade, tout comme dans les stades ou le long des voiries étroites ou difficiles d’accès. Quant aux pesticides d’origine naturelle ou qui ne comportent pas de substances classées pour leur toxicité, ils sont autorisés dans les espaces publics, comme dans les jardins des particuliers.

Le non respect des conditions d’utilisation des pesticides chimiques et, plus spécifiquement, de cette interdiction, est une infraction pénale, punie de 6 mois d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. De plus, « les actes administratifs pris par les collectivités pour acheter ces produits sont des actes illégaux et peuvent donc être annulés », note Joël Labbé, élu écologiste du Morbihan, à l’origine de la proposition de loi.

Un élu écologiste dénonce la Ville de Toulouse

Pourtant, plus de deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, certaines collectivités continuent de pulvériser des pesticides chimiques. En témoigne cette vidéo, mise en ligne en février dernier par Patrick Jimena, élu écologiste de Colomiers, en Haute-Garonne. On y voit deux agents de Toulouse Métropole, en combinaison blanche, près d’un parterre de verdure.

#Glyphosate Video édifiante de pratiques interdites où des agents de #Toulouse exécutent des ordres au mépris de la santé de tous et de la leur. pic.twitter.com/ypxeG25Sd2

— Jimena Patrick (@JimenaPatrick) February 25, 2019

 

Le conseiller municipal en est persuadé : _ »ils répandaient du glyphosate »_. Ce sont les agents eux-mêmes qui l’auraient avoué, avant d’expliquer que la mairie « les y oblige », assure-t-il.

Dans une autre vidéo de l’élu, on constate qu' »un agent de la collectivité a effectivement traité une bande de terre à l’extérieur du cimetière, le long de la clôture, côté espace public », comme l’a reconnu ensuite la Ville dans La Dépêche du Midi. On y voit d’ailleurs des joggeurs.

Interrogés par le journal local, les services de Toulouse Métropole expliquent qu’il s’agit d’une « erreur » et que, « grâce à ce signalement, les consignes sont rappelées aux agents » pour qu’elle « ne se reproduise pas ».

Une carte interactive pour traquer les pesticides chimiques

Toulouse n’est visiblement pas la seule collectivité à s’être trompé. Le site stop-pesticides.fr propose une carte collaborative qui permet à chacun de signaler les communes ou les magasins qui ne respecteraient pas la loi.

Ainsi, en juin 2017 un témoin indique que _ »les trottoirs de Courteuil [dans l’Oise] sont tous aspergés de Round Up_, visible au jaunissement des herbes le long des caniveaux et sur toute la surface des trottoirs », photo à l’appui.

stop-pesticides.fr

Sur le stop-pesticides.fr, une carte collaborative permet d’indiquer les communes qui pulvérisent ou non des produits chimiques. / stop-pesticides.fr / Capture d’écran

 

Dans l’Aisne, c’est la commune de La Bouteille qui est épinglée : « L’employé communal pulvérisait avec une combinaison de travail et un masque anti-poussière les trottoirs de la commune. Son véhicule ouvert avec un bidon d’eau et un bidon de Suzatol (glyphosate) pour recharger le pulvérisateur », est-il indiqué.

« On avait acheté un bidon de 20 litres », admet le maire, Cyril Stevenot, contacté par France Inter, mais « nous avons cessé d’en utiliser depuis 2018, et nous n’achetons que des produits homologués », autorisés par la loi. Pour lui, l’interdiction est difficile à mettre en place : « On nous impose une loi du jour au lendemain, mais il faut trouver des produits de substitution, je n’ai pas les moyens d’acheter et de mettre en œuvre un désherbage mécanique, et la population n’est pas toujours prête à voir des herbes folles pousser ».

Un autre maire s’est retrouvé dans le collimateur de Générations futures. L’association dit avoir été alertée par des adhérents : l’élu de Richelieu, en Indre-et-Loire, aurait encouragé ses administrés à utiliser des désherbants chimiques sur les trottoirs de la commune devant chez eux.

Le courrier adressé par le maire de Richelieu à ses administrés, en octobre 2017. / Capture d'écran / generations-futures.fr

Le courrier adressé par le maire de Richelieu à ses administrés, en octobre 2017. / Capture d’écran / generations-futures.fr

 

Une façon de contourner la loi à l’époque. Sauf qu’il est aussi « interdit d’en faire la publicité », s’étonne Nadine Lauverjat, coordinatrice de l’association. Et depuis janvier 2019, les jardiniers amateurs ont eux aussi interdiction de détenir ou d’utiliser les produits phytosanitaires de synthèse chimique. Les entreprises n’ont plus le droit d’en commercialiser en libre-service pour un usage non-professionnel.

Des collectivités prennent les devants

Certaines collectivités ont pris les devants, parfois avant même l’entrée en vigueur de la loi. Le site villes-et-villages-sans-pesticides.fr en a recensé 1 204 qui appliquent le « Zéro pesticide » et le ministère de l’Environnement fait la promotion de villes exemplaires.

Un site recense 1204 communes qui ne pulvérisent plus de pesticides chimiques dans les espaces publics. / villes-et-villages-sans-pesticides.fr / Capture d'écran

Un site recense 1204 communes qui ne pulvérisent plus de pesticides chimiques dans les espaces publics. / villes-et-villages-sans-pesticides.fr / Capture d’écran

 

Parmi les bons élèves, l’Isle d’Espagnac, en Charente, engagée à supprimer les pesticides chimiques depuis 2011. Le gazon des terrains de sport y est entretenu avec « une préparation biologique issue d’un mélange de mycorhize, d’eau et de purin végétal ». Le « Guide des solutions » pour parvenir au zéro pesticide du gouvernement met aussi en avant des outils mécaniques de désherbage.

Mais la transition a un coût que les communes doivent assumer. Entre « le matériel (débroussailleuse, désherbant mécanique, balayeuse…), la plantation de nouveau gazon et les agents d’entretien supplémentaires », l’Isle d’Espagnac aurait dépensé « près de 120 000 euros » pour l’entretien sans pesticides chimiques, évalue Daniel Gary, responsable des espaces verts.

Pour seuls appuis financiers, le gouvernement suggère d’adresser une demande aux agences de l’eau ou de « se rapprocher des collectivités voisines peut aussi être envisagé lorsque cela est possible pour mutualiser les coûts ». Il a également fallu « habituer les habitants aux herbes folles sur les trottoirs » et leur demander de mettre la main à la patte pour désherber devant leur porte. Le prix à payer pour voir « le retour de la biodiversité », se réjouit Sylvain Bregeon, responsable des services techniques.

Autre difficulté pour les communes : que faire du stock de pesticides ? Le maire du petit village de Saint-Bonnet-les-Tours-de-Merle, en Corrèze, a  remis tout son stock de pesticides chimiques « à une déchetterie spécialisée dans la destruction de ces produits ».

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