Différents et néanmoins sénateurs

L’HÉMICYCLE / 30-09-2011 Par Pascale Tournier

Cécile Duflot les appelle « les punks du Sénat ». Ce sont quelques-uns des nouveaux sénateurs élus en septembre. La plupart font partie du groupe Europe Écologie-Les Verts. Ils affichent un look et un comportement qui tranchent avec les habitudes feutrées de la Haute Assemblée.

Institution compassée, assemblée de notables de province au train de vie décalé par rapport à celui des Français. Le Sénat n’a pas toujours bonne presse. Avec l’entrée de 91 nouveaux sénateurs, le 25 septembre dernier, cette réputation en demi-teinte est en passe de changer. Par leurs profils inattendus, certains impétrants apportent un nouveau souffle dans les couloirs feutrés de la Haute Assemblée. Ces nouvelles têtes, on les trouve principalement dans le groupe EELV. La secrétaire générale d’Europe Écologie-Les Verts, Cécile Duflot, leur a déjà attribué le surnom de « punks du Sénat ». Anneau à l’oreille gauche, veste en cuir et de nombreuses bagues argent aux doigts, Joël Labbé, élu dans le Morbihan, répond d’emblée à cette étiquette. Thierry Mariani, le ministre chargé des  Transports, n’en est toujours pas revenu lorsqu’il a entendu, dans l’hémicycle, l’élu breton citer le tube de Bob Dylan The Times They Are a-Changin. « La prochaine fois, j’aimerais faire référence à la chanson Des armes de Léo Ferré », sourit-il. Le côté rock and roll de Joël Labbé ne se limite pas à une apparence mais embrasse aussi un état d’esprit. « Le rock est révolutionnaire, constate-t-il. La révolution d’aujourd’hui consiste à sortir des schémas classiques. Poussés par les populations, les politiques peuvent en être les moteurs. » Maire de Saint-Nolff depuis 1995 et conseiller général du Morbihan de 2001 à 2011, cet antilibéral a déjà appliqué à l’échelle de sa ville ses idées. Il a fait adopter la Charte des communes du monde, adhéré à l’Agenda 21 et mis en place des projets éoliens et d’urbanisme. Au Sénat, ce fils d’agriculteur compte apporter son expertise en agriculture et souhaite reconnecter l’institution avec la population. « Pourquoi ne pas auditionner des membres du mouvement des Indignés ? » suggère-t-il. Sa consoeur Corinne Bouchoux, sénatrice du Maine-et-Loire, affiche un parcours d’universitaire. Directrice de l’enseignement à l’Agrocampus d’Angers, elle est certifiée en sciences économiques et sociales et diplômée de Sciences Po. Aucun mandat politique ne figure dans son CV. « À mon arrivée, des collègues me demandaient où j’avais été maire ou conseillère générale. Je leur répondais que j’étais militante depuis dix-huit ans », raconte-t-elle amusée. La lutte contre l’homophobie et le sexisme sont en effet des engagements professionnels et militants qu’elle entend bien faire vivre au Sénat. Dès son arrivée, l’historienne a surpris le personnel administratif en demandant qu’on inscrive sur sa carte de parlementaire la mention « sénatrice » et non sénateur. Sans succès. « Je remonterai au créneau, je barbouillerai la carte s’il le faut », indique-t-elle. Lorsqu’elle a écrit le nom de sa compagne dans sa fiche de renseignements administratifs, elle a encore jeté le trouble chez les fonctionnaires des services généraux. Au quotidien, Corinne Bouchoux est frappée par la distance hiérarchique qui prévaut dans la maison. La membre de la commission des lois a suscité d’amicales remarques, lorsqu’elle a voulu tutoyer des assistants parlementaires. Comme sa consoeur du Maine-et-Loire, Esther Benbassa, élue du Val-de-Marne, est une universitaire qui aspire à traduire ses idées en réformes politiques. Le travail de sa vie ? Le combat contre les discriminations et la question des minorités. Celle qu’on surnomma un temps Rika Zaraï, à cause de  son accent oriental et de sa tignasse presque rouge, vit dans sa chair ses sujets d’étude. Née en Turquie, issue de la diaspora juive espagnole, elle passe son adolescence en Israël, puis s’installe en France en 1972. Deux semaines après son arrivée à la Haute Assemblée, la spécialiste de l’histoire juive ne chôme pas. Esther Benbassa dépose, en effet, une proposition de loi prônant la reconnaissance de la France dans le massacre du  17 octobre 1961, puis une autre visant la lutte contre les contrôles d’identité au faciès. L’universitaire est aussi rapporteure du projet de loi sur le vote et l’éligibilité des  étrangers aux élections locales. Pour la présentation à la presse du projet de résolution, porté par la vice-présidente du Sénat socialiste Bariza Khiari, concernant l’aide au séjour en France des diplômés étrangers, elle a tenu à être présente. Une façon notamment de batailler contre « cette spécialité de la France qui consiste à vouloir formater ses élites ». Dans le groupe socialiste, Gilbert Roger, sénateur de Seine-Saint-Denis, suscite aussi la curiosité parmi ses collègues. Cet ancien maître-nageur pendant vingt ans, devenu maire de Bondy (1995-2011) puis vice-président du conseil général (2004-2011) du 93, vit toujours au cœur de la cité. Sa fille étudie au collège de la ville. Au détour des conversations, on lui demande s’il est dangereux de vivre dans le 93. Le sénateur socialiste n’est pas étonné : « Le Sénat a longtemps été perçu comme le représentant des territoires de province, pas de celui des quartiers populaires. » Pour la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité, ce membre de la commission des Affaires étrangères souhaite apporter son regard différent. « L’armée comporte en son sein de nombreux enfants des quartiers populaires », observe-t-il. Surtout, Gilbert Roger ne veut pas se plier à cette loi non dite « selon laquelle le sénateur rédige un rapport parlementaire, au bout de dix ans ».

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