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Fongicides SDHI : 450 scientifiques réclament la fin de leur usage au nom du principe de précaution

FRANCE INTER – 21/01/2020 – Par Sandy Dauphin

Les SDHI, fongicides controversés, sont massivement épandus sur les cultures depuis les années 2000. Dans une tribune publiée dans « Le Monde » mardi, 450 scientifiques demandent de ne plus utiliser, au nom du principe de précaution, ces molécules qui bloquent la respiration cellulaire.

Ils sont pulvérisés sur les vignes, les champs de colza ou sur les terrains de sports. Depuis le milieu des années 2000, les fongicides SDHI sont largement utilisés pour lutter contre les moisissures et les champignons dans l’agriculture.

Cette famille de pesticides agit en bloquant une enzyme impliquée dans la respiration des cellules, la succinate déshydrogénase (SDH). « Le fait de bloquer la respiration des cellules des champignons empêche leur prolifération et provoque leur mort », explique Pierre Rustin, directeur de recherche au CNRS et à l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’un des premiers à avoir lancé l’alerte il y a deux ans. « Le problème c’est que le mécanisme qui sous-tend la respiration des cellules des champignons est le même dans tous les organismes vivants », poursuit-il.

Ainsi, mardi, 450 scientifiques essentiellement de laboratoires publics tirent une nouvelle fois la sonnette d’alarme. Ils signent un appel dans le quotidien Le Monde pour demander l’application du principe de précaution et mettent en garde contre le risque d’une catastrophe sanitaire liée à l’usage des fongicides SDHI.

« Déni de données scientifiques existantes »

« Outre les dégâts considérables des pesticides sur la biodiversité, ces données laissent prévoir le risque additionnel chez l’homme d’une catastrophe sanitaire liée à leur usage », écrivent ces chercheurs et médecins.

Ils mettent en cause la position de l’agence sanitaire française, l’Anses et parlent d’un « déni de données scientifiques déjà existantes » qui intervient alors que « celles-ci placent objectivement les SDHI très haut dans l’échelle de la toxicité des pesticides, requérant d’appliquer le principe de précaution figurant dans la constitution, principe auquel l’ANSES devrait se sentir tenue ».

Deux associations de lutte contre les pesticides passent également à l’offensive. Dans un communiqué commun, « Générations Futures » et « Nous voulons des coquelicots » affirment que « l’agence sanitaire nie l’alerte ».  Avec le soutien des députés Delphine Batho, Loïc Prud’homme et du sénateur Joël Labbé, ces deux ONG annoncent qu’elles vont déposer un recours juridique pour demander le retrait du marché des fongicides SDHI.

Insectes, vers de terre, poissons : les SDHI ne s’attaquent pas qu’aux champignons

Dans une étude publiée le 7 novembre 2019 dans la revue Plos One et relayée par le CNRS, l’équipe de recherche dirigée par Pierre Rustin montrait en laboratoire que « huit molécules fongicides SDHI commercialisées en France ne se contentent pas d’inhiber l’activité de la SDH des champignons, mais sont aussi capables de bloquer celle du ver de terre, de l’abeille et de cellules humaines, dans des proportions variables ».

« Les SDHI sont des molécules extrêmement dangereuses », estime Pierre Rustin, car « elles peuvent accélérer des maladies humaines diverses qui peuvent être causées par le blocage de la respiration des cellules », soit des maladies rares comme des myopathies, soit des maladies neurodégénératives fréquentes comme Parkinson et Alzheimer.

À ce jour, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a pourtant toujours estimé qu’il n’y avait pas lieu d’interdire les 11 molécules SDHI autorisées sur le marché français.

L’Anses a relancé des travaux de recherche

Alertée une première fois en avril 2018 par une dizaine de chercheurs – dont Pierre Rustin – l’Anses avait donné un avis rassurant, en janvier 2019.  Le groupe d’experts mandaté par l’Anses avait examiné « l’ensemble des données scientifiques actuellement disponibles » et concluait qu’il n’y a pas « d’éléments en faveur d’une alerte sanitaire pour la santé humaine et l’environnement en lien avec l’usage agricole de ces fongicides qui pourraient justifier la modification ou le  retrait des autorisations de mise sur le marché ».

Quant à l’étude de l’équipe de recherche de Pierre Rustin, l’Anses estimait en novembre 2019 dans un communiqué qu’il est « hasardeux de comparer les valeurs (…) obtenues in vitro dans des conditions de laboratoire avec les concentrations de SDHI qui pourrait résultait des applications des pesticides sur les cultures ». L’agence jugeait qu’il fallait poursuivre les investigations, notamment en conditions réelles d’exposition aux fongicides et décidait de lancer nouveaux travaux de recherche.

De nouveau sollicitée par France Inter à l’occasion de l’appel des 450 chercheurs, l’Anses précise qu’elle s’est de nouveau saisie de la question des SDHI fin 2019 : « Elle mobilise les collectifs d’experts dans l’objectif de passer en revue les données de la littérature les plus récentes et d’en tirer d’éventuels enseignements nouveaux par rapport à l’expertise menée en 2018 ».

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