Projet de loi relatif à la consommation

« La crise, c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître. »

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la consommation est examiné dans un contexte de crise, une crise qui dure et dont on peine encore à entrevoir l’issue.

« La crise, c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître. » Cette pensée d’Antonio Gramsci, qui date des années 1930, garde toute sa force et toute son actualité : notre modèle de société, en bout de course, tente de sortir de son interminable crise, mais il a du mal à s’affranchir des schémas du passé.

Crise grave et profonde, mais crise attendue et nécessaire, crise d’un vieux monde qui se meurt et qui s’accroche à son passé alors que le nouveau monde hésite encore à naître. Comment réussir son avènement avec suffisamment de lucidité, de courage, de responsabilité ? Notre rôle, à nous les politiques, est précisément d’assurer la transition sans rupture, de prendre en compte les attentes immédiates en gardant toujours à l’esprit, en toile de fond, le global, le long terme, l’intérêt des générations à venir, bref, l’intérêt général.

S’il faut évidemment assurer l’équilibre économique, il faut aussi s’intéresser à l’intérêt direct des consommateurs. Ces derniers, qui se trouvent au cœur du présent projet de loi, sont avant tout des citoyens et doivent être considérés comme tels. Le consommateur subit, le citoyen choisit ! Toutes les avancées vers la transparence, par l’étiquetage et l’affichage, donneront aux citoyens des outils pour forcer à une amélioration de la qualité.

Ce projet de loi, monsieur le ministre, doit être un des textes permettant l’avènement de la nécessaire transition que, nous, écologistes, appelons de nos vœux depuis longtemps. Il doit prendre en compte et favoriser le développement de solutions alternatives.

Parmi les nombreux chantiers qui s’ouvrent pour la transformation de notre économie, il y a le développement d’une économie locale et collaborative permettant une consommation également collaborative, éthique et, de ce fait, responsable. À cet égard, des mesures essentielles du projet de loi nous paraissent aller dans le bon sens, et nous les approuvons.

Je pense à la création d’un dispositif similaire à celui de l’action de groupe pour les produits de consommation – nous aimerions aller plus loin dans ce domaine, mais, si j’en crois ce qui nous a été annoncé, ce sera fait à travers d’autres textes. Je pense également au premier encadrement du crédit à la consommation et du crédit renouvelable, à la création du registre national du crédit, au renforcement des indications géographiques, étendues aux produits manufacturés, au renforcement des pouvoirs de la DGCCRF et, enfin, à la révision de la loi de modernisation de l’économie s’agissant de la transparence dans la négociation entre producteurs, acheteurs, fournisseurs et distributeurs, l’intérêt des producteurs devant être remis au cœur de ces discussions.

Mais nous pouvons et nous devons être collectivement plus ambitieux encore.

À l’Assemblée nationale, les interventions des écologistes ont permis des avancées notables quant à l’encadrement plus strict des crédits renouvelables, au dispositif d’homologation des nouvelles indications géographiques, à la reconnaissance des potentialités des circuits courts et de l’économie circulaire, dont l’économie de la fonctionnalité fait partie, mais aussi à la prise en compte de la nécessité de soutenir la durabilité et la réparabilité des produits. Sur ces sujets, nous avons été écoutés et suivis ; nous en remercions le Gouvernement et la majorité, une majorité à laquelle, au demeurant, nous appartenons… (Sourires et marques de satisfaction sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Catherine Deroche. C’est bien de le préciser ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

M. Joël Labbé. Durant ce débat au Sénat, les écologistes entendent poursuivre leurs efforts pour convaincre, afin que soient adoptées des dispositions qui leur apparaissent nécessaires, qu’il s’agisse de l’étiquetage des produits, notamment alimentaires, de la lutte contre l’obsolescence programmée ou encore de l’émergence d’une action de groupe plus ambitieuse. J’ai bien noté, monsieur le ministre, ce que vous avez déclaré tout à l’heure sur ces sujets.

Je ne procéderai pas à un inventaire exhaustif des amendements que nous avons déposés, mais je tiens à m’exprimer sur deux points essentiels : la nécessité de défendre la transparence par un étiquetage exigeant des produits, en particulier dans le domaine de l’alimentation, et la lutte contre l’obsolescence programmée.

S’agissant du premier point, nous sommes nombreux à dresser un constat alarmant. Dans notre économie mondialisée, les pratiques des entreprises de nombreux secteurs constituent les possibles scandales de demain : non-respect des exigences sanitaires, sociales et environnementales ; présence, dans de nombreux produits, de substances dangereuses et interdites selon le classement retenu dans la directive REACH ; organismes génétiquement modifiés ;« effet cocktail » des pesticides, perturbateurs endocriniens et antibiotiques administrés aux animaux d’élevages. La liste est encore bien longue !

Sur les produits tant alimentaires que non alimentaires, il devient nécessaire d’encadrer strictement ces pratiques en exigeant au minimum une traçabilité et une information claire du consommateur sur l’origine et les modes de production des biens.

Vous l’avez signalé, monsieur le ministre, la France est étroitement liée aux décisions européennes et n’a pas une pleine marge de manœuvre pour légiférer. Néanmoins, nous sommes nombreux à défendre, dans le cadre de ce projet de loi, un étiquetage transparent et exigeant. Si, comme vous l’avez donné à penser, la France peut devenir, en Europe, un leader dans ce domaine, nous en serons très fiers.

À titre d’exemple, et pour aller au-delà de notre amendement tendant à défendre un étiquetage exigeant des produits carnés, je voudrais évoquer la question de l’étiquetage des huîtres. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Comme tous les êtres vivants naturels, l’huître creuse est diploïde. Son matériel génétique est constitué de dix paires de chromosomes. L’huître triploïde, issue d’une manipulation chromosomique en écloserie, par le croisement entre une huître tétraploïde et une huître diploïde, est une huître stérile qui, ne fabriquant pas de laitance, est donc commercialisable tout au long de l’année. De plus, sa stérilité lui permet de se développer beaucoup plus rapidement – en dix-huit à vingt-quatre mois – alors qu’il faut attendre au moins trois ans pour pouvoir commercialiser l’huître diploïde, c’est-à-dire l’huître traditionnelle.

M. Alain Bertrand. Comme pour les truites !

M. Joël Labbé. La production d’huîtres triploïdes ne cesse de croître. Ces dernières représentent désormais 30 % à 40 %, au moins, de la production française, même si le marché est un peu à la baisse depuis les séries de mortalité estivale.

Il ne s’agit surtout pas pour nous de pointer du doigt la profession d’ostréiculteur, ni de dresser les uns contre les autres. Mais la généralisation de cette méthode d’élevage pose un certain nombre de questions, soulevées à la fois par les professionnels ayant choisi de poursuivre la culture de l’huître traditionnelle et par des scientifiques qui estiment que l’on manque de recul sur l’impact de cette culture sur le milieu naturel dès lors qu’elle est entreprise de manière importante.

Nos interrogations sont nombreuses. Qui peut affirmer aujourd’hui qu’il n’y a aucun risque pour l’environnement et la santé ? Les ostréiculteurs ne risquent-ils pas de devenirs trop dépendants des écloseries, à l’image des agriculteurs face aux semenciers ?

Nous pensons donc que la poursuite de la production d’huîtres triploïdes doit faire l’objet d’un débat aussi large que possible, associant la profession ostréicole, la communauté scientifique, les consommateurs, les protecteurs de l’environnement et les pouvoirs publics.

Dans le cadre du présent texte de loi, nous souhaitons simplement demander qu’un étiquetage soit prévu pour différencier l’huître traditionnelle de l’huître triploïde.

Toujours dans le domaine alimentaire, je voudrais aussi évoquer la restauration. Après les débats à l’Assemblée nationale, l’importance du « fait maison » semblant admise, je n’ai pas déposé d’amendement sur le sujet. Mais il semble que la discussion va être relancée dans cette enceinte. Je tiens donc à dire, au nom de mes collègues écologistes, que je défendrai avec force le« fait maison ».

Je conclurai mon propos en évoquant cet enjeu essentiel que constitue la lutte contre l’obsolescence programmée.

L’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, définit celle-ci comme« un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique ».

De fait, l’obsolescence programmée est une réalité portant préjudice à la fois à l’environnement et aux consommateurs, et souffrant d’un vide juridique en droit français. Afin de lutter contre cette pratique scandaleuse, nous défendrons un ensemble d’amendements déposés par notre collègue Jean-Vincent Placé.

Monsieur le ministre, nous mesurons toute l’importance de ce projet de loi, qui contient de réelles avancées. Aussi nous comptons bien, au fil des débats, être entendus et suivis sur les enjeux essentiels que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

Voir objet du texte et étapes de la discussion

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