Insecticides agissant sur le système nerveux central des insectes

14 e législature / Question d’actualité au gouvernement n° 0054G
> publiée dans le JO Sénat du 23/11/2012

M. Joël Labbé. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Elle concerne la santé des abeilles. (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
La surmortalité des abeilles et l’effondrement des colonies sont des phénomènes très préoccupants que l’on observe à l’échelon national…

Un sénateur du groupe UMP. Absolument !

M. Joël Labbé. … et à l’échelle de la planète.
Certaines familles de pesticides, les néonicotinoïdes et les phénylpyrazoles, sont clairement mises en cause par de nombreuses études. Ils relèvent d’une des classes d’insecticides agissant sur le système nerveux central des insectes. Ce type de pesticides dit « systémiques » est présent sur le marché de l’agrochimie depuis 1994.
Ces études démontrent la très forte toxicité du traitement des semences par enrobage des graines. Ce traitement entraîne un effet dit « à haute persistance », c’est-à-dire que le pesticide est diffusé dans toute la plante, et ce tout au long de sa vie. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)
Cependant, il est à noter que la plupart des études servant de base aux délivrances des autorisations de mise sur le marché se concentrent sur les doses létales de pesticides. Or des doses non létales, souvent faibles, peuvent avoir des conséquences catastrophiques pour les abeilles, l’effet létal étant alors indirect. C’est ce qu’a prouvé l’étude française publiée dans la revue Science le 29 mars 2012. La capacité de retour à la ruche est affectée, et il a ainsi été constaté une surmortalité très importante des abeilles, alors même qu’elles sont exposées à une dose pourtant cinq fois inférieure aux doses considérées comme mortelles.
L’évaluation des risques des pesticides doit donc nécessairement et systématiquement prendre en compte les effets létaux indirects dans le calcul de l’impact sur les pollinisateurs, ainsi que la toxicité chronique, larvaire et sublétale. Le 23 mai 2012, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire, l’EFSA, a publié un avis scientifique sur la manière dont les pesticides devraient être évalués quant à leur impact sur les abeilles. Cette analyse démontre que les pesticides de la famille des néonicotinoïdes et des phénylpyrazoles n’ont jamais été correctement évalués et que, par conséquent, les autorisations de mise sur le marché ont été délivrées à partir d’évaluations erronées.
L’abeille est un vecteur de pollinisation indispensable à la biodiversité. (On imite le bruit du vol des abeilles sur quelques travées de l’UMP.) Elle joue un rôle écologique primordial pour la sécurité alimentaire et revêt un enjeu économique majeur. Sa valeur a d’ailleurs été estimée à 153 milliards de dollars par an. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
Mais encore, bien au-delà de ces chiffres,…

M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.

M. Joël Labbé. … l’abeille nous est d’une telle utilité irremplaçable que, si elle venait à disparaître de la planète,…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. La question !

M. Joël Labbé. … l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre, comme l’a proclamé Albert Einstein, qui était autant scientifique que philosophe. (Même mouvement.)

M. le président. Posez votre question, monsieur Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le ministre de l’agriculture, dans l’attente d’une réévaluation complète des néonicotinoïdes et des phénylpyrazoles selon les nouvelles lignes directrices de l’EFSA, comptez-vous suspendre les autorisations de mise sur le marché de ces produits en France, à commencer par le Cruiser sur les maïs, et ce afin de préserver les abeilles ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’UMP.)

Réponse du Ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

> publiée le 23/11/2012
M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Joël Labbé, au début de votre question, il m’a semblé entendre un murmure dans cette Haute Assemblée, d’ordinaire silencieuse, pour saluer le sujet que vous évoquiez, celui des abeilles.
Il est vrai que les abeilles sont – vous l’avez dit – un outil précieux pour la pollinisation, et il faut tout faire pour préserver cela.

M. Jean-Claude Gaudin. On est d’accord !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je précise au passage que la France consomme 40 000 tonnes de miel, en produit 18 000 tonnes et en importe 16 000 tonnes, en provenance notamment de Chine, pasteurisées et filtrées. J’invite donc chacun à mesurer l’effort que nous devons faire pour la production de miel en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’UMP.)
Le ministre de l’agriculture a pris des décisions et un plan stratégique sera présenté au début de l’année prochaine, afin, précisément, de développer la production de miel et, surtout, les protections qui doivent être données aux abeilles.
Vous avez évoqué la famille des néonicotinoïdes. C’est un sujet que j’ai dû traiter dès mon arrivée au ministère de l’agriculture, après la parution d’une étude du magazine Science, d’ailleurs confirmée par l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES. J’ai été conduit à interdire le Cruiser, qui fait partie de cette famille, sur le colza.
Cela m’a d’ailleurs permis d’engager une discussion au niveau communautaire avec le commissaire de l’époque, M. Dalli, afin que l’EFSA réalise également une étude à l’échelle européenne sur l’ensemble de cette famille, compte tenu des conséquences mesurées du Cruiser sur le colza, fleur nectarifère, et de la possibilité que d’autres plantes puissent avoir des effets similaires sur les abeilles.
Comme vous l’avez souligné, la mortalité des abeilles est, chacun en convient, liée à des phénomènes multifactoriels ; il n’y a pas de facteur unique. Et, indépendamment de la question des abeilles, l’effort que nous devons faire est un effort pour réduire les recours globaux aux phytosanitaires, quelles que soient les productions. C’est un engagement qui a été pris.
Si, malgré le brouhaha, j’ai bien compris votre question, monsieur le sénateur, vous souhaitez savoir si j’interdirai les néonicotinoïdes ou, à tout le moins, s’il y aura un moratoire. Il n’y aura pas de moratoire tant que je ne disposerai pas des résultats des études.
J’ai pour principe – cela a été le cas d’ailleurs pour l’étude Séralini et pour celle relative au Cruiser – de prendre des décisions rapides à partir du moment où des résultats scientifiques me sont fournis. J’attendrai donc de connaître les conclusions de l’étude de l’EFSA ; je pousse au niveau de la Commission pour que l’étude soit menée et que l’on nous communique les résultats.
Des décisions ont été prises dans un certain nombre de pays sur le maïs ou sur le colza, selon les cas. Nous avons besoin d’harmoniser notre position à l’échelle européenne. Sachez que le ministre de l’agriculture tient aux abeilles ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

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