IVG


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 02 août 2022


PRÉSENTÉE PAR

Mme Mélanie VOGEL, MM. Guy BENARROCHE, Daniel BREUILLER, Ronan DANTEC, Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Guillaume GONTARD, Joël LABBÉ, Mme Monique de MARCO, M. Paul Toussaint PARIGI, Mme Raymonde PONCET MONGE et M. Daniel SALMON, Sénatrices et Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi constitutionnelle vise à protéger l’accès à l’interruption volontaire de grossesse et à une contraception adaptée afin que notre Constitution soit un rempart contre toute initiative législative visant à revenir sur la liberté de chacune et de chacun, et en particulier des femmes, à disposer de leurs corps et à bénéficier des soins de santé nécessaires à faire de cette liberté un droit effectif.

Pour ce faire, elle modifie l’article premier de la Constitution en y insérant une disposition selon laquelle la loi garantit l’autonomie décisionnelle en matière reproductive et l’accès aux soins et aux services de santé et en consacrant le droit à l’avortement et à une contraception adaptée. La mention d’un accès universel, inconditionnel et gratuit ainsi qu’au délai légal minimum de quatorze semaines d’aménorrhée vise à garantir que non seulement ces droits aient une portée constitutionnelle mais aussi que toute régression par rapport au droit existant ne puisse être constitutionnelle, qu’il s’agisse de la prise en charge par la sécurité sociale, des conditions d’accès ou encore du délai légal.

Il est à noter que, bien qu’elle ne soit pas l’objet de cette loi, une autre possibilité juridique pourrait être étudiée: celle de mettre en place une charte des droits sexuels et reproductifs, plus détaillée, et de faire de son respect une obligation constitutionnelle, sur le modèle de la charte de l’environnement.

Le droit à l’interruption volontaire de grossesse est une conquête politique des féministes, comme celui du droit à l’accès à la contraception, acquis de haute lutte, depuis la légalisation de l’IVG jusqu’à l’allongement du délai légal à 14 semaines d’aménorrhées en 2022, en passant par son remboursement intégral par la sécurité sociale et par la création du délit d’entrave à l’IVG.

Sa remise en cause, partout autour de nous, par des groupes politiques réactionnaires et par des mouvements religieux intégristes est l’expression la plus violente et la plus insupportable de la domination patriarcale, celle qui consiste à contrôler les corps, à priver les femmes du droit individuel le plus élémentaire, le plus fondamental, celui de choisir de mener ou de ne pas mener une grossesse.

Ces régressions ont lieu dans un contexte global où l’état de droit, les libertés fondamentales et les droits individuels sont profondément remis en cause et avec eux, en premier et comme toujours, les droits des femmes et des minorités sexuelles et de genre.

C’est le cas aux États-Unis bien sûr, depuis le jugement de la Cour Suprême du 24 juin 2022 qui a donné raison à l’État du Mississippi et révoqué l’arrêt Roe v. Wade, conduisant déjà à rendre impossible l’avortement dans un nombre croissant d’États, alors que plus de 40 % des femmes en âge de concevoir vivent dans des États aux lois restrictives. C’est aussi le cas, en Pologne, où l’avortement est de fait devenu presque totalement interdit depuis plusieurs années.

Au-delà des attaques contre le droit à l’avortement ou à la contraception, la vigilance doit être accrue en ce qui concerne l’effectivité réelle de l’accès aux droits reproductifs et sexuels. Car même lorsque l’avortement n’est pas interdit, l’accès à l’IVG souffre d’entraves : il est contraint par le manque de moyens, par le manque de rendez-vous dans les hôpitaux, par la diminution du nombre de centres pratiquant l’IVG et par le manque de financement du planning familial et des services publics de santé.

Nous le savons, les conservateurs attaquent rarement en bloc, de front et en une fois les libertés individuelles et les droits des femmes et des minorités, et lorsqu’ils le font, ils gagnent rarement tout de suite. Ils commencent souvent par rogner, petit à petit, le cadre matériel et légal, compliquent les conditions d’accès, la prise en charge sociale, le financement des associations, l’accès à l’information, tout l’environnement qui fait de ce droit une réalité ou non. C’est pour cela que protéger les droits en matière de santé reproductive et sexuelle, mais aussi l’accès à ces droits, est indispensable.

C’est non seulement utile mais aussi nécessaire de le faire dans la Constitution.

Tout d’abord parce que l’autonomie décisionnelle des individus et tout particulièrement des femmes en matière reproductive est constamment attaquée dans le monde et que l’on ne peut décemment considérer que la France soit automatiquement protégée de tels élans réactionnaires.

Alors même que l’extrême-droite entre en force à l’Assemblée nationale, que les crises économique, sanitaire, climatique et géopolitique portent en elles, comme toutes les crises, les germes d’une régression des droits des femmes, donner un rang constitutionnel au droit à l’accès à la contraception et à l’IVG est devenue une étape nécessaire pour parachever la reconnaissance politique de l’égalité réelle des citoyens et citoyennes.

Et cela, même si le taux d’adhésion en France au droit à l’avortement et plus largement aux droits reproductifs et sexuels est très important, voire même, notamment parce qu’il est si important.

Ce ne saurait en effet être seulement l’imminence d’une régression qui devrait justifier d’inscrire ces droits dans la Constitution. En réalité, l’exact inverse pourrait même être argumenté. C’est parce que ces droits font partie du contrat social qu’ils doivent être affirmés dans la Constitution, parce qu’ils ont acquis un rang fondamental et que l’inscrire dans notre droit primaire est une reconnaissance, une réaffirmation, une consécration de la place que l’on entend leur donner.

Parce que précisément, la devise de la France est Liberté, Égalité, Fraternité, parce que ce pays a voulu faire de l’égalité des droits un principe fondateur de son existence politique, parce que l’inégalité de faits des individus face aux questions reproductives rend nécessaire la reconnaissance au plus haut niveau de la liberté reproductive, parce que la Constitution est le texte légal qui établit notre contrat social en tant que communauté politique, la consécration de ces droits dans la Constitution est un enjeu fondamental de citoyenneté.

Ainsi, en constitutionnalisant l’autonomie décisionnelle en matière reproductive et l’accès aux soins et aux services de santé, en reconnaissant le droit de toute personne d’accéder, de manière universelle, inconditionnelle et gratuite à une contraception adaptée et à l’interruption volontaire de grossesse dans un délai qui ne peut être inférieur à quatorze semaines d’aménorrhée, la Constitution française ne fera pas que reconnaître aux femmes et à toutes personnes en capacité de mener une grossesse des droits fondamentaux, elle ne fera pas qu’empêcher que l’on puisse attaquer ces droits et adopter des législations régressives. Elle rappellera à toutes les générations de parlementaires qui suivront que la réalité de ces droits est au coeur de ce qui fait notre démocratie et qu’il est de leur devoir constitutionnel de les protéger.

 

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

L’article 1er de la Constitution est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« La loi garantit l’autonomie décisionnelle en matière reproductive ainsi que l’accès aux soins et aux services de santé.

« Toute personne a droit à une contraception adaptée et à un accès universel, inconditionnel et gratuit à l’interruption volontaire de grossesse, dans un délai qui ne peut être inférieur à quatorze semaines d’aménorrhée. »

 

> Voir laproposition de loi

> Voir le dossier législatif

Les commentaires sont fermés.

ouvrir