Réparation des condamnations pour homosexualité


PROPOSITION DE LOI
portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 06 août 2022


PRÉSENTÉE PAR

MM. Hussein BOURGI, Patrick KANNER, Guillaume GONTARD, Mmes Éliane ASSASSI, Marie-Pierre de LA GONTRIE, MM. Jean-Pierre SUEUR, Jean-Marc TODESCHINI, Mme Laurence ROSSIGNOL, M. André VALLINI, Mme Marie-Arlette CARLOTTI, MM. Jérôme DURAIN, Rémi FÉRAUD, Maurice ANTISTE, Mme Cathy APOURCEAU-POLY, M. Jean-Michel ARNAUD, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. David ASSOULINE, Jérémy BACCHI, Mme Esther BENBASSA, MM. Guy BENARROCHE, Joël BIGOT, Mme Florence BLATRIX CONTAT, M. Éric BOCQUET, Mme Nicole BONNEFOY, MM. Denis BOUAD, Daniel BREUILLER, Mmes Isabelle BRIQUET, Céline BRULIN, MM. Bernard BUIS, Henri CABANEL, Rémi CARDON, Yan CHANTREL, Mmes Laurence COHEN, Catherine CONCONNE, Hélène CONWAY-MOURET, M. Thierry COZIC, Mme Cécile CUKIERMAN, MM. Ronan DANTEC, Gilbert-Luc DEVINAZ, Mmes Nassimah DINDAR, Élisabeth DOINEAU, MM. Thomas DOSSUS, Vincent ÉBLÉ, Mmes Frédérique ESPAGNAC, Corinne FÉRET, MM. Jacques FERNIQUE, Jean-Luc FICHET, Mme Martine FILLEUL, MM. Fabien GAY, Hervé GILLÉ, Jean-Pierre GRAND, Mmes Michelle GRÉAUME, Laurence HARRIBEY, Nadège HAVET, MM. Jean-Michel HOULLEGATTE, Alain HOUPERT, Olivier JACQUIN, Mme Victoire JASMIN, MM. Éric JEANSANNETAS, Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, MM. Éric KERROUCHE, Joël LABBÉ, Gérard LAHELLEC, Pierre LAURENT, Jean-Yves LECONTE, Mmes Annie LE HOUEROU, Marie-Noëlle LIENEMANN, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Jacques-Bernard MAGNER, Mme Monique de MARCO, MM. Didier MARIE, Serge MÉRILLOU, Mme Michelle MEUNIER, M. Jean-Jacques MICHAU, Mme Marie-Pierre MONIER, MM. Franck MONTAUGÉ, Pierre OUZOULIAS, Mme Guylène PANTEL, M. Paul Toussaint PARIGI, Mme Marie-Laure PHINERA-HORTH, M. Sebastien PLA, Mmes Raymonde PONCET MONGE, Émilienne POUMIROL, Angèle PRÉVILLE, Daphné RACT-MADOUX, MM. Claude RAYNAL, Christian REDON-SARRAZY, Mme Sylvie ROBERT, MM. Gilbert ROGER, Daniel SALMON, Pascal SAVOLDELLI, Lucien STANZIONE, Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Mickaël VALLET, Mmes Sabine VAN HEGHE, Marie-Claude VARAILLAS, M. Yannick VAUGRENARD et Mme Mélanie VOGEL, Sénateurs et Sénatrices

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’histoire de chaque pays est faite de parts de lumière dont il convient de tirer une légitime fierté et de parts d’ombre dont on gagne à reconnaître la véracité.

La grandeur d’un pays consiste donc à regarder son passé en prenant de la hauteur et du recul, pour le faire avec lucidité et objectivité.

La France ne fait pas exception à cette règle, comme l’illustrent les différentes lois mémorielles votées depuis 1945.

De la Loi Michelet de 1954 « instaurant la Journée nationale du souvenir de la déportation » à la Loi Alliot-Marie de 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », en passant par la Loi Gayssot de 1990 « tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe », la Loi Taubira de 2001 « visant à reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité », ou la Loi Parly de 2021 « portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie », la France a su faire ce travail et reconnaître sa responsabilité pour des politiques publiques mises en oeuvre à l’encontre de plusieurs groupes de personnes.

Pour autant, certains groupes de victimes n’ont, pour l’heure, pas encore bénéficié d’une reconnaissance officielle des discriminations et condamnations subies en raison de leur orientation sexuelle, vraie ou supposée, ou de leur identité de genre.

C’est notamment le cas des personnes homosexuelles, dont plusieurs dizaines de milliers furent victimes d’un droit français discriminatoire, entre 1942 et 1982.

Notre législation était pourtant initialement l’une des plus progressistes au monde, puisque les relations entre personnes de même sexe avaient été décriminalisées pendant la Révolution Française, dès 1791.

Un revirement législatif est hélas intervenu au cours de la Seconde Guerre mondiale, sous le Régime de Vichy. Par la Loi du 6 août 1942, modifiant l’alinéa 1 de l’article 334 du Code pénal, l’État français a instauré une distinction discriminatoire dans l’âge de consentement entre rapports homosexuels et hétérosexuels : 21 ans pour les rapports homosexuels, et 13 ans pour les rapports hétérosexuels (puis 15 ans à partir de 1945).

Ces évolutions législatives d’apparence anodine ont bouleversé la vie des personnes homosexuelles en France puisqu’elles ont servi de base juridique pour la répression policière et judiciaire, dont elles furent les victimes.

Constitution de fichiers de police, condamnations judiciaires, dénonciation aux forces ennemies de l’occupation, opprobre social, licenciement abusif : tel fut le sort de ces personnes. L’adoption de la législation scélérate du 6 août 1942 est venue amplifier ces pratiques.

À la Libération, alors que la plupart des lois pétainistes sont abrogées, cette disposition est hélas maintenue dans la législation française. En effet, François de Menthon, Ministre de la Justice dans le Gouvernement provisoire de la République française, signe l’ordonnance du 8 février 1945, qui transfère l’alinéa 1 de l’article 334 vers l’alinéa 3 de l’article 331 du Code pénal, punissant « … d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 60 francs à 15 000 francs quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans. ».

En 1974, l’âge de la majorité sexuelle pour les rapports homosexuels est abaissé à 18 ans, et la peine prévue à l’alinéa 3 de l’article 331 du Code pénal est transférée à l’alinéa 2 de celui-ci en 1980.

Outre l’alinéa 2 de l’article 331 du Code pénal, l’homosexualité est également réprimée dans le droit français, suite à l’édiction de l’ordonnance du 25 novembre 1960, qui crée l’alinéa 2 de l’article 330 du Code pénal. Cette disposition vient doubler la peine minimum pour outrage public à la pudeur, lorsqu’il s’agissait de rapports homosexuels, créant de fait un « caractère aggravant d’homosexualité ».

Sur ces bases légales et juridiques, la répression des minorités sexuelles de l’époque, appelées aujourd’hui LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, et Transidentitaires) se fait particulièrement forte. Entre 1945 et 1982, selon les travaux des sociologues Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen, publiés en 2018, près de 10 000 citoyens sont condamnés pour des faits d’homosexualité au titre de la Loi du 6 août 1942. À cela il conviendrait d’ajouter les personnes condamnées pour outrage public à la pudeur « homosexuel » dont, selon les estimations provisoires produites par Régis Schlagdenhauffen, le nombre d’hommes et de femmes condamnés pour ce motif pourrait s’élever à 50 000.

Jusqu’en 1978, 93 % des procès liés aux infractions susmentionnées se soldent par des condamnations à des peines de prison.

C’est la mobilisation d’intellectuels et d’artistes (Michel Foucault, Gilles Deleuze, Guy Hocquenghem ou encore Marguerite Duras) à l’occasion du médiatique procès dit du « Manhattan » en 1977, qui va permettre de faire évoluer notre législation.

En premier lieu, l’alinéa 2 de l’article 330 du Code pénal est abrogé par la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, portée par Monique Pelletier, Secrétaire d’État et Ministre Déléguée au sein du Gouvernement de Raymond Barre, reprenant la proposition de loi n° 261 du 8 février 1978 du Sénateur radical Henri Caillavet.

Par la Loi n° 81-736 du 4 août 1981, François Mitterrand, nouvellement élu Président de la République, amnistie toutes les personnes ayant été condamnées pour homosexualité, sur la base des alinéas 2 des articles 330 et 331 du Code pénal.

Enfin, l’alinéa 2 de l’article 331 est abrogé le 27 juillet 1982, par la Loi Forni, rapportée par Gisèle Halimi, et soutenue par le Garde des Sceaux, Robert Badinter.

Edictée le 4 août 1982, cette loi vient mettre un terme définitif aux répressions endurées par les personnes LGBT, en raison du droit pénal français.

Quarante ans après, et bien que la réalité de la répression des personnes homosexuelles, lesbiennes, bisexuelles et transidentitaires soit documentée par de multiples travaux de juristes, historiens et sociologues reconnus, la France n’a pas encore admis sa responsabilité en la matière et n’est pas même en mesure d’établir le nombre exact de victimes de ces lois discriminatoires.

Dans ce domaine, les législations étrangères nous ouvrent la voie. Les États canadien (2017) et norvégien (2022) ont par exemple reconnu leur rôle dans la persécution des personnes LGBT au cours des derniers siècles. La Grande-Bretagne, en 2017, a proposé la réhabilitation des personnes condamnées pour homosexualité. Enfin, l’Espagne (2007) et l’Allemagne (2017) sont allées plus loin encore, proposant une réparation pécuniaire aux victimes.

Le temps est venu pour la France d’emprunter à son tour le chemin tracé par plusieurs de ses partenaires occidentaux.

En le faisant, nous rendrons justice aux dernières victimes encore en vie de cette législation ; ces personnes ont vécu une large part de leur vie avec le poids de cette condamnation dégradante et infâmante.

En leur accordant justice et réparation, c’est leur identité que nous respecterons et leur dignité que nous restaurerons.

Tel est le sens de cette proposition de loi.

Dans son article 1, celle-ci entend reconnaître la responsabilité de la France dans les persécutions subies par les personnes LGBT entre 1942 et 1982, découlant de l’application des dispositions – depuis abrogées – des articles 330 et 331 du Code pénal.

L’article 2 souhaite introduire dans le droit français un délit pénal venant réprimer les propos visant à nier la déportation subie par les personnes LGBT au cours de la Seconde Guerre mondiale, opérée depuis la France.

L’article 3 prévoit la réparation des personnes – lorsque celles-ci en font explicitement la demande – ayant fait l’objet d’une condamnation au titre des peines mentionnées à l’article 1 de la présente proposition de loi.

L’article 4 permet la constitution d’une commission indépendante visant à évaluer les demandes en réparation au titre de l’article 3.

L’article 5, enfin, entend donner des gages financiers, nécessaires au financement des dispositions prévues au sein de la présente proposition de loi.

 

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La République française reconnait et regrette la politique de criminalisation et de discrimination mise en œuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles, et condamnées en application des dispositions suivantes, aujourd’hui abrogées :

1° Le troisième alinéa de l’article 331 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs ;

2° Le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal ;

3° Le deuxième alinéa de l’article 330 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 précitée.

Cette reconnaissance ouvre à ces personnes le bénéfice d’une réparation dans les conditions prévues à l’article 3 de la présente loi.

 

Article 2

Après l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un article 24 ter ainsi rédigé :

« Art. 24 ter. – Seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Seront punis des mêmes peines ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière, par un des moyens énoncés au même article 23, l’existence de déportations de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale. »

 

Article 3

Les personnes reconnues victimes d’une discrimination en application de l’article 1er ont droit au bénéfice des mesures suivantes :

1° Une allocation forfaitaire fixe de 10 000 euros ;

2° Une allocation forfaitaire variable en fonction du nombre de jours de privation de liberté, fixée à 150 euros par jour ;

3° Le remboursement du montant de l’amende dont elles se sont, le cas échéant, acquittées en application de leur condamnation, actualisé dans des conditions fixées par décret.

 

Article 4

  1. – Il est institué auprès du Premier ministre une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982. Cette commission est chargée de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l’article 3.
  2. – La commission mentionnée au I comprend :

1° Deux députés et deux sénateurs ;

2° Un membre du Conseil d’État et un magistrat de la Cour de cassation ;

3° Trois représentants de l’État, désignés par le Premier ministre ;

4° Trois personnalités qualifiées, issues du monde universitaire et associatif, désignées par le Premier ministre en raison de leurs connaissances dans le domaine de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ou de leurs engagements dans la lutte contre les discriminations subies en raison de l’orientation sexuelle.

III. – Un décret précise le fonctionnement de la commission mentionnée au I, ses attributions, les conditions de son indépendance dans l’exercice de ses missions, les modalités de présentation et d’instruction des demandes de réparation ainsi que les conditions dans lesquelles les personnes concernées peuvent être entendues.

 

Article 5

Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

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