Projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire

Mardi 27 octobre 2020, le Sénat a adopté, par 184 voix pour et 128 contre (voir les résultats du scrutin public), le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

 Ce projet de loi permet des dérogations exceptionnelles à l’interdiction prévue à l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime portant interdiction de l’usage des néonicotinoïdes sur le territoire national, afin d’autoriser la filière betteravière à utiliser des semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques de la famille des néonicotinoïdes.

 Ces dérogations sont strictement encadrées jusqu’au 1er juillet 2023, dans l’attente de l’émergence d’une combinaison d’alternatives chimiques et non chimiques permettant de ne plus recourir à ces substances.

 En outre, le projet de loi crée un conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes, ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances . Il est composé de quatre députés et de quatre sénateurs.

 Sur le rapport de Sophie Primas (Les Républicains – Yvelines), présidente, la commission des affaires économiques a notamment souhaité que le Gouvernement propose une consolidation juridique du projet de loi d’ici la séance publique, afin que la mention explicite de ces dérogations aux seules betteraves sucrières n’expose pas le texte dans son ensemble à un risque d’inconstitutionnalité au regard du principe d’égalité devant la loi.

 En séance publique, en présence de Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, après avoir rejeté une motion d’irrecevabilité puis une motion tendant à opposer la question préalable, le Sénat a adopté des amendements tendant à :

  • acter dans la loi le principe « pas d’interdiction sans alternative », dans des conditions pragmatiques. Ainsi le principe d’étude préalable des alternatives par l’ANSES devient obligatoire, en amont aux interdictions de produits phytopharmaceutiques. (amt 22 – articles additionnels après l’article 2) ;
  • autoriser les ministres chargés de l’agriculture et de la consommation à prendre des mesures de sauvegarde aux importations si des produits alimentaires importés ne respectent pas les normes requises en France (par exemple en étant traités par des produits phytopharmaceutiques interdits en France). (amt 23 – articles additionnels après l’article 2)

Joël Labbé a voté contre ce texte

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Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je dois vous dire que je ne suis pas à l’aise dans ce débat ; mais je sais que beaucoup d’entre vous ne le sont pas non plus. Il s’agit d’un débat compliqué.

André Reichardt. Très bien vu !

Joël Labbé. Cela étant, personne n’a le monopole du respect des agriculteurs.

Gérard Longuet. En tout cas, nous, nous les respectons !

Joël Labbé. Les écologistes ont été pointés du doigt : je tiens à affirmer notre respect total pour le monde agricole, pour le monde paysan ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Il faudra le prouver !

Joël Labbé. Ce qui ne nous convient pas, c’est un modèle qui broie un certain nombre de paysans depuis trop longtemps.

L’interdiction des néonicotinoïdes, obtenue après vingt ans d’une lutte lancée par les apiculteurs, était l’une des trop rares avancées des dernières années dans le combat contre les pesticides. Elle est aujourd’hui mise à mal par un texte qui non seulement permet de répandre de nouveau des poisons dans l’environnement, mais envoie un signal désastreux quant à la volonté des pouvoirs publics d’amorcer réellement la transition agroécologique de l’agriculture.

Pourtant, d’autres solutions existent, et elles sont nombreuses : réduction de la taille des parcelles ; semis plus tardifs ; jachères favorisant la présence d’auxiliaires des cultures ; rotations longues ; plantation de nouvelles haies bocagères, etc. Or – je l’ai appris tout récemment –, en France, 10 000 kilomètres de linéaires de haies disparaissent encore chaque année.

Les témoignages d’agriculteurs engagés dans des systèmes alternatifs le montrent : il est possible de mettre en œuvre des solutions agronomiques pour se passer de ces molécules. Des scientifiques l’affirment également. Mais, à cette fin, il faut encore poursuivre la recherche, en lui accordant les moyens qu’elle exige !

René-Paul Savary. D’accord !

Joël Labbé. Nous disposons déjà de nombreux outils pour construire un véritable modèle agroécologique, rémunérateur pour les agriculteurs.

Pour autant, nous considérons bien sûr qu’il est important de faire face à l’urgence des pertes économiques de la filière. Pour cela, nous proposons la mise en place de mécanismes écoconditionnés, qui pourraient coupler aides publiques et fonds de mutualisation – nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.

Par ailleurs, l’impact sanitaire de la jaunisse du puceron ne doit pas nous le faire oublier : face aux grandes difficultés que connaît ce secteur, ce n’est pas l’interdiction des néonicotinoïdes qui est en jeu.

La baisse des rendements est aussi liée à la sécheresse et, plus largement, aux conditions météorologiques, qui ne vont pas aller en s’arrangeant…

François Bonhomme. Cela n’a rien à voir !

Joël Labbé. C’est la fuite en avant d’un modèle industriel à bout de souffle qui provoque ces difficultés techniques. Des sols presque morts, des cultures sous perfusion d’intrants, un environnement appauvri au point que les ravageurs n’ont plus aucun prédateur : autoriser de nouveau les néonicotinoïdes, c’est alimenter ce cercle vicieux.

On le sait, la crise de la betterave est avant tout liée à la dérégulation des marchés, depuis la fin des quotas en 2016.

Daniel Gremillet. N’importe quoi !

Joël Labbé. Nous devons, au contraire, travailler à un commerce international équitable et permettre une véritable relocalisation de l’alimentation. Ce serait aussi l’occasion de favoriser l’émergence d’une filière de production de sucre bio, dont la France s’honorerait d’être le leader.

François Bonhomme. Ça reste du sucre !

Joël Labbé. Sans surprise, les membres du groupe écologiste voteront donc contre ce texte.

Mes chers collègues, rappelons-nous – c’était il y a plus de vingt ans : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Laurent Duplomb. Jacques Chirac !

Joël Labbé. Alors que nous sommes dans une situation d’urgence, la décision que nous prenons aujourd’hui est perçue comme un souffle pour raviver le feu. Allons-nous continuer ainsi jusqu’au dernier souffle ? En recevant de tels signes, nos concitoyens perdent l’envie d’y croire.

En définitive – certains le sous-entendent –, ceux qui s’opposent à ce modèle seraient des obscurantistes, voire des « Amish » favorables au retour à la lampe à pétrole. Pour toutes les personnes dont il s’agit, de tels propos sont blessants et méprisants.

Je conclurai par des mots d’humour – cet humour noir qui est la dernière des politesses du désespoir –, en paraphrasant un grand poète du siècle dernier : parlez-moi d’Amish, et j’vous fous mon poing sur la gueule (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.), sauf le respect que je vous dois ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

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