Travail forcé de la population ouïghoure


PROPOSITION DE RÉSOLUTION
en application de l’article 34-1 de la Constitution,
visant à interdire l’importation de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure en République populaire de Chine,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 16 janvier 2023


PRÉSENTÉE PAR

Mme Mélanie VOGEL, MM. Guillaume GONTARD, Guy BENARROCHE, Daniel BREUILLER, Ronan DANTEC, Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Joël LABBÉ, Mme Monique de MARCO, M. Paul Toussaint PARIGI, Mme Raymonde PONCET MONGE et M. Daniel SALMON, Sénatrices et Sénateurs

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les faits sont suffisamment étayés pour que nul ne puisse aujourd’hui les contester : dans la province autonome chinoise du Xinjiang, le gouvernement de Pékin s’acharne, méthodiquement et avec violence, contre la population ouïghoure, ce peuple turcophone et sunnite qui habite l’Ouest de la Chine actuelle depuis plus d’un millénaire.

Les photos satellites, les témoignages de personnes survivantes et des rares journalistes et universitaires qui ont séjourné dans la région et les fuites de documents officiels du Parti communiste chinois permettent d’estimer à au moins un million, peut-être deux millions, le nombre de personnes aujourd’hui enfermées dans des camps, soit plus de 10 % de la population ouïghoure du Xinjiang. Dans les camps, torture, lavage de cerveaux, viols et stérilisations forcées sont systématiques ; dans les villes et les villages, les arrestations arbitraires se comptent par milliers, pour le simple fait de parler la langue ouïghoure, de posséder un Coran ou de communiquer avec quelqu’un à l’étranger. La mécanique est implacable et parfaitement rodée : il s’agit de la plus grande campagne d’internement d’une population depuis la Seconde Guerre mondiale. Un crime contre l’Humanité, comme l’a reconnu l’Assemblée nationale lors de l’adoption d’une résolution en ce sens le 20 janvier 2022.

Le travail forcé est l’un des outils de répression privilégiés par le pouvoir de Pékin contre la population ouïghoure. La France, et l’Europe, doivent prendre sérieusement la mesure des conséquences de cet esclavage moderne. En septembre 2022, la Commission européenne a ainsi présenté un projet de règlement qui permettrait aux Etats-membres d’interdire l’importation de produits issus du travail forcé. Un règlement qui ne vise pas nommément Pékin, mais qui cherche à interdire l’entrée dans l’Union de tout produit fabriqué, dans le monde, par des esclaves modernes. Mais ce qui se passe derrière les murs des centaines de camps d’internement dans la région ouïghoure – un chercheur allemand, photos satellite à l’appui, estime qu’il y en aurait au moins 1 400 – doit pousser la France, et l’Europe, à en faire davantage.

Le président américain Joseph Biden a promulgué le Uyghur Forced Labor Prevention Act (Loi contre le travail forcé des Ouïghours) qui est entré en vigueur en juin 2022. Les termes de cette loi sont clairs : un produit qui a été fabriqué, même en partie, au Xinjiang est d’abord considéré comme issu du travail forcé et ne peut pas être importé aux Etats-Unis, tant que les entreprises ne peuvent pas prouver, de façon convaincante, le contraire.

Ce que prépare la Commission européenne fonctionnerait plutôt à l’inverse : les Etats-membres devraient eux-mêmes étayer leurs soupçons qu’un produit est le fruit du travail forcé, avant que l’entreprise visée ait ensuite à démontrer que ce n’est pas le cas. Une période pendant laquelle les biens concernés pourraient continuer à circuler au sein de l’Union.

Ce projet de règlement de la Commission européenne doit désormais être ratifié par le Parlement européen pour une éventuelle entrée en vigueur deux ans après son adoption. C’est trop peu, trop tard. L’Europe doit s’assurer de toute urgence qu’aucun produit issu du travail forcé dans la région ouïghoure ne puisse circuler à l’intérieur de son marché commun.

Nous devons mettre en place un embargo sur les produits issus du travail forcé qui circulent à l’intérieur des marchés français et européen, afin de s’assurer que personne, en France et en Europe, ne porte de vêtements, n’utilise de machine ou ne consomme des produits souillés du sang des victimes ouïghoures du régime de Pékin ; ce n’est malheureusement, aujourd’hui, pas le cas.

 

PROPOSITION DE RÉSOLUTIONS

Le Sénat

Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,

Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948,

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 16 décembre 1966, notamment son article 8 qui interdit l’esclavage et les travaux forcés, signé mais non ratifié par la République populaire de Chine,

Vu la Convention (n° 029) de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1930 sur le travail forcé et le Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930,

Vu la Convention (n° 182) de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1999 sur les pires formes de travail des enfants,

Vu la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale des Nations unies du 4 janvier 1969,

Vu la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 20 novembre 1989,

Vu la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 10 décembre 1984,

Vu la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 18 décembre 1979,

Vu l’article 33 de la Constitution de la République populaire de Chine, qui dispose que « l’État respecte et garantit les droits de l’homme »,

Vu la promulgation du Uyghur Forced Labor Prevention Act par le président américain Joseph Biden le 23 décembre 2021,

Vu le règlement d’exécution (UE) 2022/2374 du Conseil du 5 décembre 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) 2020/1998 concernant des mesures restrictives en réaction aux graves violations des droits de l’homme et aux graves atteintes à ces droits,

Vu la résolution du Parlement européen du 9 juin 2022 sur un nouvel instrument commercial visant à interdire les produits issus du travail forcé (2022/2611(RSP)),

Vu la résolution n° 758 (quinzième législature) adoptée par l’Assemblée nationale le 20 janvier 2022, portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours,

Vu le rapport sur le Xinjiang du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme publié le 31 août 2022,

Considérant le caractère génocidaire des violences politiques systématiques et les crimes contre l’humanité perpétrés par la République populaire de Chine à l’encontre des Ouïghours, et reconnus comme tels par huit parlements nationaux, dont l’Assemblée nationale française ;

Considérant les nombreux témoignages faisant état d’arrestations sommaires, de torture et de viols systématiques à l’encontre de la population ouïghoure ;

Constatant l’internement de masse des Ouïghours et d’autres minorités turciques présentes dans la région autonome du Xinjiang ;

Considérant les politiques de stérilisation massive et forcée, de sinisation et d’éradication de l’identité, de la culture et du peuple ouïghours, ainsi que la séparation des enfants de leurs familles ;

Constatant le recours massif au travail forcé des Ouïghours par la République populaire de Chine ;

Considérant par ailleurs que le fruit de ce travail forcé constitue l’un des axes de développement du commerce extérieur de la République populaire de Chine, notamment en France et en Europe ;

Considérant que le développement économique de la région autonome du Xinjiang, une région vitale dans la mise en place des nouvelles « routes de la soie » déployée par la République populaire de Chine pour accroître son influence, repose en grande partie sur le travail forcé de la main-d’œuvre ouïghoure ;

Invite l’Union européenne à renforcer les sanctions contre les auteurs de ces crimes et contre les complices de ces atrocités ;

Invite le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne à réviser en profondeur le projet de règlement présenté le 14 septembre 2022 par la Commission européenne, afin de mettre en place un nouvel instrument commercial, compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce, visant à interdire l’importation de produits fabriqués en recourant au travail forcé et issus, même en partie, de la région autonome du Xinjiang, sauf si les entreprises concernées peuvent prouver hors de tout doute – et charge à elles seules d’en faire la preuve – que leur production n’implique pas de travail forcé ;

Invite le Gouvernement à plaider au niveau européen en faveur de cet instrument commercial visant à interdire l’importation de produits issus, en tout ou en partie, du travail forcé de la population ouïghoure.

 

Voir la proposition de résolution

Voir le dossier législatif

Les commentaires sont fermés.

ouvrir