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Accord de libre-échange avec le Mercosur : « En l’état, nous ne pouvons pas signer l’accord », annonce Franck Riester

PUBLIC-SÉNAT – 20/05/2021

Les sénateurs auditionnaient mercredi 19 mai Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur. Ils sont notamment revenus sur la politique française concernant les accords de libre-échange. Au programme, les négociations actuelles d’un accord avec le Mercosur, mais aussi la question d’un accord déjà en vigueur mais qui n’est encore jamais passé par le Sénat : le CETA. Enfin les sénateurs sont revenus sur des négociations commerciales avec la Chine souhaitant inclure des clauses sur « les droits humains ».

Ce jeudi se tiendra une réunion des différents ministres des Affaires étrangères européens, où Jean-Yves Le Drian et ses homologues de l’Union européenne discuteront notamment du futur accord de libre-échange avec le Mercosur, le marché commun d’Amérique du Sud. Les sénateurs ont donc profité de l’audition de Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, au Sénat pour l’interroger sur l’avenir de cet accord de libre-échange.

Accord de libre-échange avec Mercosur : « Cet accord accélère la déforestation »

L’Union européenne négocie depuis plus de 20 ans un accord de libre-échange avec le Mercosur, qui abaisse fortement les droits de douane entre les deux marchés communs. Un accord de principe a été trouvé en 2019, l’accord n’a été ni finalisé, ni ratifié, notamment en raison de l’opposition de la France. Les sénateurs ont tenu à en savoir plus sur la position du gouvernement à la veille d’une discussion européenne cruciale pour l’avenir de cet accord.

Joël Labbé, sénateur écologiste, a par exemple interpellé le ministre : « On ne voit pas comment le Brésil va freiner sa déforestation, les impacts de cet accord sont énormes. Une étude d’experts mis en place par le gouvernement français estime que cet accord accélère la déforestation de 25 % dans les 10 prochaines années. Nous le condamnons tous : nous sommes un pays producteur de viande, comment accepter des importations de viande d’Amérique du Sud qui se fait au détriment des populations indigènes ? Il faut que la France soit forte pour dire que les produits alimentaires ne sont pas des marchandises comme les autres et devraient être écartés de tels accords. »

Le ministre délégué au commerce extérieur s’est montré ferme en détaillant l’attitude de la France dans ces négociations : « Nous souhaitons mieux prendre en compte les questions de développement durable : nous voulons que pour les prochains accords de libre-échange, le respect de l’accord de Paris soit une clause essentielle. » La conséquence pour l’accord avec le Mercosur est claire : « Nous ne pouvons pas signer en l’état l’accord avec le Mercosur. En cause, c’est le non-respect par certains de ces pays des accords de Paris […]. Concernant la lutte contre la déforestation, le gouvernement brésilien a réduit les moyens qu’il mettait. Il prépare une loi agraire qui risque d’accélérer la déforestation. »

Franck Riester conclut : « La forêt amazonienne n’appartient pas qu’aux Brésiliens. S’ils ne bougent pas ils n’auront pas d’accès au marché européen plus facilement qu’aujourd’hui. »

Ratification du CETA : « Nous ne sommes pas en retard »

Les sénateurs ont aussi profité de cette audition pour aborder le sujet d’un autre accord de libre-échange, le CETA, déjà négocié, ratifié par l’Assemblée nationale. Le Sénat attend pourtant encore de voir son examen inscrit à son ordre du jour… Franck Riester n’a pas donné plus de précisions sur le calendrier de la ratification. Il semble même que le gouvernement ne soit pas particulièrement pressé de faire ratifier cet accord par le Sénat : « La France a déjà ratifié le texte à l’Assemblée nationale, ce texte est en application de manière provisoire depuis septembre 2017. Certains Etats n’ont même pas encore commencé la question de la ratification comme l’Allemagne ou la Pologne. Nous ne sommes pas en retard. »

Le ministre y voit même l’occasion d’évaluer précisément les conséquences de ce traité, avant de le présenter au Sénat pour sa ratification : « Nous voulons évaluer la mise en œuvre de ce traité, qui semble très positif pour l’économie française. Nous avons augmenté de 24 % nos exportations vers le Canada et il n’y a pas pour l’instant d’impact sur les filières sensibles comme le bœuf. […] Nous travaillons pour soumettre ce bilan-là au Sénat le moment venu. »

Accord commercial avec la Chine : « On veut les faire bouger sur les questions fondamentales de droits humains »

L’autre gros dossier concernant ces accords commerciaux, ce sont les négociations d’un accord commercial « CAI » (Comprehensive Agreement on Investment) avec la Chine. « Dans la relation avec la Chine, nous voulons avancer sur ces questions de réciprocité et faire de la politique commerciale un levier d’autres préoccupations » explique déjà Franck Riester. La sénatrice socialiste Gisèle Jourda interroge le ministre sur la suspension de cet accord : « Cet accord a été suspendu à la suite de sanctions de l’Union européenne contre la Chine, et les contre-sanctions chinoises. La situation des Ouïghours était déjà connue : permettez-nous de poser la question : la suspension jusque quand ? Ne nous détourne-t-elle pas du réel problème, notre dépendance vis-à-vis de la Chine ? »

Le ministre lui répond en défendant d’abord le principe de cet accord. « On ne peut pas dire du jour au lendemain qu’on supprime toute collaboration économique avec la Chine. Il faut régler des fragilités de façon pragmatique, concrète et déterminée. Cet accord contribue à ça. Tout le monde demande de la réciprocité, c’est l’objet même de ce texte : que nos entreprises investissent en Chine de façon loyale sans dirigeants chinois ou obligation de majorité chinoise dans le capital. » Franck Riester détaille ensuite les raisons qui ont poussé l’Union européenne à suspendre cet accord, en se montrant optimiste : « On veut les faire bouger sur les questions fondamentales des droits humains. Dans cet accord, c’est la première fois que la Chine accepte dans un accord commercial de mettre des conditions qui ne sont pas strictement commerciales. Mais il n’est pas question de signer quoi que ce soit en l’état avec eux. »

Reste cependant à savoir si l’Union européenne possède un pouvoir de négociation assez fort vis-à-vis de la Chine pour arriver à « la faire bouger » sur la question des droits humains, et notamment des Ouïghours. Pour le moment les négociations sont suspendues.

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