Ils quittent le Sénat : Joël Labbé, le sénateur rock’n roll en lutte contre les pesticides

PUBLIC SÉNAT

Après 12 ans au Sénat, le sénateur écologiste Joël Labbé ne se représente pas aux élections sénatoriales 2023. Il aura marqué l’institution par son look de rockeur, ses discours poétiques et parfois décalés, et son combat sans faille contre les pesticides.

Un OVNI au Sénat

Lorsque Joël Labbé débarque en 2011 au Sénat, c’est peu dire qu’il détone dans l’institution. L’élu écologiste du Morbihan a d’ailleurs conscience d’être un OVNI politique. Suivi par les caméras de Public Sénat le jour de son arrivée, le voilà qui s’exclame : « ceux qui disent « putain », quelqu’un qui a une gueule comme toi qui se retrouve au Sénat, ça montre qu’il y a des choses qui se passent ! »

L’homme, en réalité, a été blessé par des mots qui lui ont été rapportés d’un ancien sénateur breton, qualifiant son élection de « honte » pour le Morbihan et passera une bonne partie de son mandat à vouloir prouver sa légitimité. Cela ne sera toujours simple, notamment lorsque quelques mois après son arrivée, l’élu se trompe en déposant seulement un bulletin dans l’urne alors qu’il aurait dû déposer ceux de l’ensemble de son groupe, entraînant le rejet d’une disposition soutenue par les écolos. De quoi entraîner les moqueries de certains, notamment à la droite de l’hémicycle. L’élu raconte des moments difficiles : « J’ai eu beaucoup de complexes d’infériorité. Je me souviens de certaines réunions, certaines séances, où j’avais des choses à dire. Quand j’étais fatigué, j’osais plus parler, j’osais plus lever la main, je me disais que j’allais passer pour un rigolo. Je me taisais. Je me retrouvais tout seul à l’hôtel le soir en me disant, tu n’as pas de légitimité. Après, au fil du temps, je me suis blindé quelque part, j’ai travaillé pour comprendre comment fonctionnait tout ça. »

« La gauche a raté quelque chose, et c’est très dommage »

L’arrivée de Joël Labbé au Sénat coïncide aussi avec la bascule de la Haute Assemblée à gauche, qui sera suivie un an plus tard par l’élection de François Hollande. Au Sénat, c’est aussi la naissance du groupe écologiste.

« C’était une vraie bonne ambiance de quelque chose d’historique, le Sénat, qui pour la première fois de son histoire, passe à gauche. Et en fait, ce sont les voix du Morbihan qui ont fait la bascule. Ce n’était pas du tout prévu que les 3 candidats du Morbihan allaient être élus et on a été élus. Pour faire un groupe, il fallait 10 écolos. Il y en avait 9 de sûr et il y avait un qui était très improbable, c’était moi donc j’arrive. Le fait qu’il y ait un groupe écolo, c’était très fort historiquement. Il y avait une vraie ambiance entre nous. Si j’étais atypique, je n’étais pas le seul, les autres aussi n’étaient pas dans le moule tout en étant différents de moi. »

Rétrospectivement, Joël Labbé a beaucoup de regrets sur ce moment où la gauche avait toutes les cartes en mains : « Je me dis : là, la gauche a raté quelque chose. C’était le moment de faire des choses, de faire des réformes et ça a été raté quelque part. C’est très dommage. »

L’art de la parole

Joël Labbé a marqué le Sénat par son look Rock n’Roll, très décalé de celui de ses collègues, et par ses références musicales qu’il a toujours assumées dans ses discours à la tribune, entre Léo Ferré et Bob Dylan. Des prises de parole en public sur lesquelles il n’était tout d’abord pas du tout à l’aise. Le sénateur raconte : « La première fois où j’arrive au Sénat, lors de ma première intervention, je cite Bob Dylan. Les médias et notamment Public Sénat me demandent d’aller parler actualités en plateau. Cela donne une audience nationale. Un journaliste de Libé voit ça et écrit une 4e de couv bien écrite : Rock’n Sénat. Un réalisateur de documentaire breton, Jean-Jacques Rault, voit ça et veut faire un doc sur moi. On passe 6 mois ensemble et au bout de 6 mois, il me dit : « Ta manière de parler, elle ne va pas du tout ». Il me propose un coaching avec une comédienne de théâtre et pendant 4 mois, j’ai travaillé. Ce n’était pas un coaching politique. Ils m’ont dit : être politique, c’est aussi être comédien pour faire passer des messages. 

Le combat contre les pesticides

« Les pesticides sont des armes de destruction massive. Ce sont des poisons pour l’humanité. Je leur réponds avec d’autres armes, celles que chantait Léo Ferré, des armes qui mettent de la poésie dans les discours. »

Ce sont les mots prononcés par Joël Labbé à la tribune lors de l’une de ses grandes victoires politiques, le jour de l’adoption au Sénat de la loi Labbé, qui encadre l’utilisation des pesticides sur le territoire français, les interdisant progressivement dans les espaces verts et les jardins domestiques. Les cimetières suivront ensuite…

« Suite à une mission d’information sur les pesticides, leur impact sur l’environnement et la santé, j’avais été conforté dans ce que je pensais. J’avais annoncé, le soir de l’approbation du rapport, que j’envisageais une proposition de loi […] Je descends de la tribune : on me dit « Joël, tu es un tout petit peu utopiste. C’est bien que tu aies travaillé sur ça mais ta proposition de loi, la faire passer, faut pas rêver : l’Europe, les lobbies, tout ça. Moi je réponds : je me donne un an pour y arriver et j’y compte bien parce que tous mes collègues ont entendu la même chose que moi sur les impacts, sur la santé, sur les cancers, sur les malformations de nourrissons, sur tout ça et aussi sur d’autres pratiques qui démontrent qu’on peut se passer de pesticides. »

Reste que la loi Labbé ne s’attaque pas aux plus gros consommateurs de pesticides : les agriculteurs conventionnels. Au cours de ses deux mandats, le sénateur n’a d’ailleurs cessé de dénoncer le lobbying de la FNSEA et celui de l’agrochimie, et leur influence sur les différents ministres de l’agriculture.

Une cravate contre les néonicotinoïdes, les dessous d’un coup médiatique

Février 2015, Joël Labbé pousse son coup de gueule le plus remarqué. Face à un gouvernement qui refuse d’interdire les néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeille, Joël Labbé enfreint le règlement du Sénat et retire sa cravate à la tribune, devant certains sénateurs narquois.

« Quand j’ai fait ça de colère, je me suis dit, j’ai dû faire une connerie », se rappelle le sénateur qui toutefois a vu son geste récompensé. La cravate tourne sur les chaînes d’info en continu et les réseaux sociaux, le combat pour les abeilles trouvera finalement sa place, un an plus tard, dans le projet de loi sur la biodiversité. « On m’aurait dit qu’un an après, les pesticides néonicotinoïdes auraient été interdits dans le cadre de la loi biodiversité, je ne l’aurais pas cru. Et bien, c’est arrivé. Donc des fois, je me dis, il faut faire des coups pour faire avancer les choses. »

Après 12 ans au Sénat, Joël Labbé compte désormais laisser la place. Il quitte le Parlement, mais n’abandonne pas ses combats politiques. « La loi Labbé, ça reste quand même une petite loi, je ne me pavane pas. Il y en a quand même une. Mais il faut l’étendre à l’UE. Donc post-Sénat, c’est une de mes missions c’est de continuer là-dessus, » projette-t-il avant de citer une dernière fois Léo Ferré : « Un homme libre ne se couche que pour mourir. »

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