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Néonicotinoïdes : les abeilles ont toujours le bourdon

PUBLIC SÉNAT – Par Simon Barbarit 27/05/2016

Selon des chiffres que s’est procurée l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF) l’utilisation des néonicotinoïdes, les insecticides « tueurs d’abeilles » aurait augmenté ces dernières années et ce malgré un moratoire européen limitant leurs usages. Pendant ce temps au Parlement, députés et sénateurs s’opposent toujours sur l’interdiction totale de ces molécules.

Elles sont essentielles à la biodiversité, elles représentent 40% de notre alimentation. Et pourtant les abeilles et autre insectes pollinisateurs sont toujours menacés de disparition. La faute aux  néonicotinoïdes. Un mot barbare pour désigner une substance toxique employée dans les insecticides. Au cœur des préoccupations des apiculteurs depuis des dizaines d’années, les données qu’ils mettent en lumière aujourd’hui n’ont pas de quoi les rassurer. « Le Ministère de l’Agriculture nous a envoyé sur les roses, c’est le cas de dire. Nous avons donc dû saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) pour obtenir quelques éléments sur l’utilisation des néonicotinoïdes » précise Henri Clément porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF). Les apiculteurs auraient pu s’attendre à une bonne nouvelle, il n’en est rien. Suite à l’application d’un moratoire européen en 2013, trois substances néonicotinoïdes (le thiaméthoxam, l’imidaclopride et la clothianidine) sont limitées à certains usages à savoir la culture du colza, du mais, du tournesol, du coton et de la céréale à paille semée au printemps. Or « l’utilisation totale des néonicotinoides en volume a augmenté de 31% » de 2013 à 2014 déplore l’UNAF.

Les néonicotinoïdes toujours en hausse

Contacté par le journal le Monde, le ministère de l’Agriculture tempère cette hausse, expliquant que « sur les molécules dont le tonnage est faible, une petite augmentation peut conduire à des hausses de pourcentages qui peuvent sembler élevées ». Axel Decourtye, Ecotoxicologue directeur scientifique et technique de l’ITSAP-Institut de l’abeille met lui en évidence que les chiffres publiés par l’UNAF concernent 5 néonicotinoïdes dont deux qui ne sont pas concernés par le moratoire : l’acétamipride et le thiaclopride. « Il est difficile, avec ces données, de savoir si l’augmentation du volume des néonicotinoïdes est dû au fait que des agriculteurs ne respectent pas la réglementation pour les 3 qui sont concernés par le moratoire ou que ce sont les deux substances qui ne sont pas soumises à une limitation qui sont de plus en plus utilisées. Il faudrait faire une étude, culture par culture ». Axel Decourtye ajoute que les néonicotinoïdes soumis à certains usages peuvent toujours être utilisés par exemple en arboriculture ou en maraîchage.

La droite sénatoriale revient sur l’interdiction totale des néonicotinoïdes

Quoi qu’il en soit, ces nouvelles données tombent mal à l’heure ou députés et sénateurs n’ont pas réussi à s’entendre en commission mixte paritaire sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité (voir notre article). Lors de l’examen du texte en deuxième lecture, à l’Assemblée nationale, les députés avaient voté l’interdiction totale des néonicotinoïdes à l’horizon 2018. En mai dernier, la majorité sénatoriale de droite avait défait la mesure. Interrogé au micro de public Sénat, Michel Vaspart, sénateur LR des Côtes-d’Armor expliquait la position de son groupe : « on ne peut être le seul pays à l’interdire ». « Si au niveau de l’Europe, il y a une interdiction générale, on peut comprendre qu’il y a ait une interdiction en France mais on ne doit pas surtransposer. Nous affaiblissons notre économie à chaque fois que nous surtransposons. Il faut stopper ça » (voir la vidéo).

Le texte qui repassera entre les mains de la chambre basse probablement à l’automne prochain, a déjà subi un recul de la part du gouvernement. Il préconise, dans un amendement, une interdiction « progressive et de manière transversale au plus tard le 1er juillet 2020  de l’ensemble des utilisations des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ». Contacté par publicsenat.fr, le sénateur EELV, Joël Labbé, assure « que si la France réussit  à adopter une interdiction, ça fera boule de neige dans toute l’Union européenne ». Il se dit prêt à un compromis et à voir une interdiction de ces substances au plus tard en 2020, mais ne cache pas sa crainte d’un possible retour en arrière. « Je suis convaincu que si la droite revient au pouvoir dans 10 mois, ils détricoteront le texte. On peut dire tout ce qu’on veut sur le gouvernement actuel, mais au moins sur cette question nous avons avancé dans le bon sens » salue-t-il.

L’UNAF fustige le double langage de Stéphane le Foll

Du côté de l’UNAF, on fustige le double langage de l’exécutif. « Il ya une différence entre le discours sur l’agro-écologie de Stéphane le Foll et les pratiques sur le terrain. C’est quand même au sein du ministère de l’Agriculture que sont délivrées les autorisations de mise sur le marché des néonicotinoïdes. De plus, rien ne prouve que le moratoire soit respecté par la France. Pendant ce temps,  chaque année, le taux de mortalité des abeilles est entre 30% et 50% » rappelle Henri Clément

Les agriculteurs peuvent-ils se passer des néonicotinoïdes ? « Des cultures peuvent s’en passer, pour d’autres c’est plus compliqué. Prenons l’exemple, des producteurs de cerises, c’est de saison. Ils sont actuellement obligés de les utiliser pour lutter contre les ravageurs. On ne peut pas interdire tous les insecticides sans apporter des solutions techniques aux agriculteurs. Ce n’est jamais simple de changer les pratiques. Maintenir les productions agricoles tout en protégeant les pollinisateurs, c’est la difficile équation à résoudre » estime Axel Decourtye

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