Libération plein écran

Projet de loi climat : «Il est temps de se rendre compte qu’on est collectivement dans la merde»

LIBERATION – 29/06/2021

Alors que Sénat a adopté mardi le projet de loi climat, le sénateur écologiste du Morbihan Joël Labbé estime que le texte est loin d’être à la hauteur de l’ampleur du défi à relever.

Après avoir examiné le projet de loi climat pendant deux semaines, le Sénat a adopté le texte mardi, par 193 voix pour, 100 contre et 54 abstentions, lors d’un vote solennel. Par rapport à la version votée en première lecture par l’Assemblée nationale début mai, ce dernier a sensiblement évolué. Les parlementaires (sept députés et sept sénateurs) doivent se réunir le 12 juillet pour tenter de trouver un compromis en Commission mixte paritaire (CMP). Entretien avec le sénateur écologiste du Morbihan Joël Labbé.

«On discute courtoisement, alors qu’on est collectivement extrêmement dans la merde.» Vous avez poussé un gros coup de gueule dans l’hémicycle du Sénat, vendredi. Pourquoi ?

Lors des débats sur le délit d’écocide, les sénateurs de droite plaidaient sur chaque article pour la liberté d’entreprendre des sociétés internationales, estimant que prendre des mesures fortes pour le climat risquerait de nuire à leur compétitivité… Je ne supportais plus d’entendre des arguments de court terme, alors que la situation planétaire continue de se dégrader malgré les beaux discours et les belles intentions.

Alors, j’ai tenu à faire part de mon état d’esprit au fil des débats, toujours empreints de la courtoisie traditionnelle, marque du Sénat. J’ai dit qu’il est temps de se rendre compte qu’on est collectivement dans la merde. Évidemment, ce ne sont pas des choses qui se disent dans l’hémicycle, mais je l’ai dit sans m’énerver, posément, comme quelque chose de profondément ressenti. Tant qu’on ne se le dira pas, on n’avancera pas. Une partie importante de la population attend de nous de vraies orientations, en particulier les jeunes générations. Par ces propos, j’ai voulu porter leur parole… Le paradoxe, c’est que le Sénat va un peu améliorer le projet de loi climat. A la marge, mais malgré tout.

Quelles ont été les principales avancées du texte permises par le Sénat ?

Je citerais d’abord l’interdiction de la publicité dans l’audiovisuel public pour les voitures les plus polluantes d’ici 2028, qui s’ajoute à l’interdiction de la publicité pour les énergies fossiles prévue dans le texte sorti de l’Assemblée nationale. Par ailleurs, le texte prévoit désormais l’intégration des impacts sociaux dans l’étiquetage environnemental, en particulier le respect des droits humains. Côté transports, le taux de TVA sur les billets de train passe de 10 à 5,5 %. Enfin, la création d’une dotation d’un milliard d’euros pour financer les plans climat des collectivités est une avancée.

Déplorez-vous aussi des reculs ?

Oui, plusieurs. Sur la question de l’écocide, le Sénat est resté au quasi statu quo par rapport à l’Assemblée en refusant d’acter une protection juridique plus forte de l’environnement. Les sénateurs ont vidé de sa substance le principe de suppression des vols intérieurs en cas d’alternative en train de moins de 2 h 30, en l’assortissant de conditions restrictives, qui reviennent à fermer seulement une ligne en France. Le Sénat s’est prononcé contre l’interdiction des panneaux lumineux dans les vitrines. Il a refusé la généralisation d’un repas végétarien hebdomadaire dans la restauration collective. Le texte prévoit désormais la possibilité pour les communes de s’opposer à l’éolien.

Il refuse le principe d’une redevance sur les engrais azotés de synthèse sur les terres agricoles. Cependant, sur ce sujet, nous avons fait adopter un amendement qui interdit des engrais de synthèse sur les espaces non agricoles sur le modèle de la loi Labbé de 2014 [qui encadre l’utilisation des pesticides sur les espaces verts, les voiries, les promenades et les forêts ouvertes au public, ndlr]. C’est un petit pas par rapport au volume de l’utilisation des engrais agricoles, mais c’est une façon de mettre le pied dans la porte, comme je l’avais fait avec la loi Labbé.

A ce stade, le projet de loi vous paraît-il à la hauteur des enjeux ?

Pas du tout. Il est complètement en dessous de ce qu’il faudrait faire. Un point positif : le Sénat a inscrit dans le texte le nouvel objectif de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre de -55 % d’ici 2030 (contre -40 % prévu auparavant), acté au niveau européen. Sauf que notre collègue sénateur écologiste Ronan Dantec a estimé qu’avec ce projet de loi, on ne dépasserait pas les 35 %. Donc nous serons loin du compte. C’est l’une des raisons majeures pour lesquelles notre groupe écologiste a voté contre le texte sorti du Sénat.

Les commentaires sont fermés.

ouvrir