Débat sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)

« Cette nouvelle PAC n’est pas aussi juste qu’on aurait pu l’espérer. »

Nous avons compris, monsieur le ministre, que les négociations ont été longues et rudes, mais que vous êtes parvenus à un certain compromis… En vérité, celui-ci ne nous satisfait qu’à moitié.

Certes, nous partons de loin ! À ce titre, quelques chiffres méritent d’être rappelés : 20 % des exploitations s’accaparent actuellement 80 % des aides directes et, en France, les 160 plus grandes exploitations touchent 123 millions d’euros par an, soit autant que les 100 000 plus petites.

Nous tenons d’abord à saluer le rôle que vous avez joué. Vous avez placé la France à la tête des pays souhaitant une régulation, en cette période où la logique libérale rejoint la logique de repli national, dans le domaine agricole comme dans de trop nombreux autres, et où une véritable construction de l’Europe s’impose. Nous notons votre ténacité à défendre le principe d’une PAC un tant soit peu régulatrice alors que bon nombre d’États, ne l’oublions pas, ne partagent pas cette position.

Nous saluons aussi le travail réalisé au regard du couplage des aides. Comme vous l’avez rappelé, le taux est porté à 13 %, alors que proposition initiale était de 10 %. S’y ajouteront 2 % supplémentaires obtenus pour la production de protéines végétales. Ce sont là des avancées.

Par ailleurs, la majoration des aides directes sur les premiers hectares de toutes les exploitations est de nature à favoriser les exploitations qui emploient. Or le volet emploi, qui est essentiel à nos yeux, a été et continue d’être mis à mal par le modèle productiviste.

Enfin, avancée également intéressante, la majoration obligatoire des aides pour les jeunes agriculteurs au sein du premier pilier complétera les soutiens existants. Il est néanmoins dommage que l’octroi de ces aides ne soit pas conditionné au fait que les projets d’installation répondent à des objectifs de création d’emplois, de protection de l’environnement et de bonne gestion des ressources naturelles. C’est regrettable car les jeunes qui s’installent peuvent éviter de s’enferrer dans un système qui a broyé une partie de la génération précédente ; d’ailleurs, nombre d’entre eux souhaitent s’engager dans une autre forme d’agriculture.

S’il existe un certain nombre de sujets de satisfaction, on reste toutefois bien loin des propositions initiales qui allaient dans le sens d’une PAC plus verte, plus juste et plus favorable aux jeunes.

Tout d’abord, le tournant vers une PAC plus verte n’est pas véritablement pris. Les quelques mesures de verdissement qui figuraient dans le projet initial et qui ont pu subsister sont laissées à l’appréciation des États membres, lesquels, pour la plupart, les rendront le moins contraignantes possible.

Quant à la rotation obligatoire des cultures, proposée par le groupe des Verts au Parlement européen, elle a été écartée d’emblée : la mesure n’a même pas été étudiée ! Pourtant, tout en favorisant le rétablissement de notre balance commerciale, elle allait dans le sens d’une réduction de notre dépendance vis-à-vis des importations de soja en provenance d’Amérique du sud, d’une amélioration de la qualité des sols et d’une réduction de l’utilisation d’intrants. Ç’aurait été une belle victoire pour le développement d’un modèle agricole plus durable ! À l’heure où l’agro-écologie fait beaucoup parler d’elle, et nous en sommes heureux, cette seule mesure concrète aurait permis d’en favoriser l’essor. Au contraire, c’est encore le lobby de l’agro-industrie qui a pesé et la monoculture va pouvoir continuer à se développer sur 75 % de la surface des exploitations.

Ensuite, cette nouvelle PAC n’est pas aussi juste qu’on aurait pu l’espérer.

La convergence des aides ne permettra pas un réel transfert au profit de l’élevage, notamment. Les gros céréaliers restent les grands gagnants. Les sommes qu’ils touchent sont d’ailleurs préservées : elles ne pourront être réduites au-delà de 30 % d’ici à 2020. Sans doute est-ce une avancée, mais on ne peut s’en satisfaire !

Quant au plafonnement des aides, le Parlement européen l’avait fixé à un niveau, déjà fort élevé, de 300 000 euros. Plus rien ne subsiste, dans l’accord, de cette mesure : elle a disparu ! Pourtant, elle ne fissurait que très à la marge le modèle agro-industriel intensif puisqu’elle ne concernait que 35 000 exploitations agricoles sur les 13 millions de fermes européennes. Les États membres ne sont tout simplement plus tenus de l’appliquer !

Cette nouvelle n’est pas vraiment rassurante. Sans plafonnement des aides, c’est la concurrence interne qui restera la règle : les plus gros pourront racheter leur voisin en faillite, et cela avec le soutien de l’argent des contribuables.

Cet accord montre surtout que nous nous éloignons de plus en plus de l’idéal de solidarité entre paysans européens qui était le fondement même de la PAC.

Cependant, la partie n’est pas totalement jouée. Compte tenu des marges de manœuvre que les États ont récupérées, la future loi sur l’avenir et la modernisation de l’agriculture sera une étape cruciale. Devant nous s’ouvre une période intéressante. Il faut que, en France, nous montrions l’exemple en favorisant la recherche et son application à travers des modes de production plus respectueux de l’environnement, créateurs d’emplois durables, générateurs de développement des zones rurales.

Va-t-on permettre que la majorité des paysans deviennent de simples sous-traitants, dépourvus de droits, de l’industrie agroalimentaire et de l’agrochimie ? Ou bien va-t-on enfin créer les conditions pour que les agriculteurs soient les moteurs d’une économie relocalisée ? L’enjeu est là !

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous. Dès lors que vous engagerez l’agriculture dans cette voie, nous serons avec vous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE.)

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