Ouest-France

Le sénateur Joël Labbé raccroche après 46 ans en politique : « J’avais un sentiment d’illégitimité »

OUEST-FRANCE03/06/2023 – Par Yves-Marie ROBIN et Michel TROADEC

Adjoint, puis maire de Saint-Nolff (Morbihan), organisateur de festival, conseiller général, sénateur écolo, Joël Labbé quittera le Palais du Luxembourg cet automne, après douze ans de mandat national. Une loi contre les pesticides porte, désormais, son nom.

Sa première apparition à la tribune du Sénat, en 2011, avait marqué les esprits. Il y avait cité une chanson de Bob Dylan. Une première ! Douze ans après, le Morbihannais Joël Labbé s’apprête à quitter le Palais du Luxembourg, fier du travail réalisé, pour un monde plus écologique. Lui, l’optimiste combatif, va, désormais, poursuivre sa mobilisation contre les pesticides, pour l’agriculture biologique et la relocalisation de l’alimentation, comme bénévole, comme retraité actif. Entretien.

Vous quitterez le Sénat à l’automne prochain. Définitivement. Comment avez-vous vécu ces douze années de mandat au Palais du Luxembourg ?
Ce fut très dur au début. Mon élection en 2011 était inattendue. À la surprise générale, notre trio de gauche l’avait emporté sur le trio de droite. Ma vie a donc changé, basculé du jour au lendemain. Paris a ouvert ses bras à l’élu de Saint-Nolff, mais l’adaptation a été compliquée. À plusieurs reprises, je me suis demandé ce que je faisais là.

Avez-vous pensé à démissionner ?
Non. J’avais été élu, on m’avait fait confiance, il fallait rester. Cette confiance des électeurs m’a aidé à ramer pour exister. Cela a été difficile pendant une année. J’arrivais dans un autre monde. D’autant plus que trois jours seulement après mon entrée au Sénat, j’ai dû intervenir en séance publique, à la tribune, sur les voies navigables…

Bob Dylan à la tribune

C’est là que vous avez cité Bob Dylan ?

À la tribune, tout tremblant, devant l’hémicycle et le ministre, j’explique que je suis honoré d’avoir été élu sénateur. Et je rajoute : « Lorsque j’ai monté le grand escalier d’honneur pour la première fois, j’ai entendu une petite musique : The times they are a-changin (les temps sont en train de changer). » Je vois les regards surpris dans l’assemblée. Mine de rien, cette référence musicale a donné le ton de mon mandat et m’a offert un rayonnement national.

Quelles ont été les réactions de vos collègues après cette première prise de parole ?
Certains ne m’ont jamais fait de cadeau, m’ont toisé. J’ai connu d’immenses complexes d’infériorité. J’avais, dans ma tête, un sentiment d’illégitimité.

Avez-vous aussi ressenti du mépris de la part de certains sénateurs ?
De la part de certains, oui.

A contrario, d’autres vous ont-ils aidé, tendu la main ?
Certains collègues ont rapidement eu de la sympathie pour moi, pour la différence que je représentais. La politique, ce n’est pas mon monde et cela se voit.

Douze ans après, percevez-vous toujours ce mépris des premiers mois ?
Du tout ! Je suis, désormais, respecté et, je crois, estimé. Mes collègues sénateurs savent où je vais et que je ne dévierai jamais de ma trajectoire. Je ne donne pas dans les coups tordus, mais je ne les supporte pas non plus. Certains regrettent déjà mon départ. L’autre jour, en sortant de l’hémicycle, Élisabeth Borne m’a dit que j’allais manquer au Sénat.

Une loi porte son nom

Une loi porte votre nom, celle sur l’interdiction de l’usage de produits phytosanitaires dans les espaces verts publics, les propriétés privées, les lieux fréquentés par le public… Est-ce une fierté ?
Je fais très attention avec la fierté. Mais la loi Labbé a réussi à faire bouger tout un pan des pratiques de la société. C’est bien. Cette loi m’a donné une visibilité nationale, une sacrée légitimité. J’ai été capable d’aller au bout de mon projet, malgré toutes les difficultés, malgré la pression des lobbies.

Dans une vie, passer douze ans au Sénat, cela représente quoi ?
Pour moi, ancien maire de Saint-Nolff, ancien conseiller général, qui n’étais pas du tout fait pour la vie politique nationale, c’est une expérience de vie extraordinaire, inimaginable.

De quoi êtes-vous le plus fier ?
De n’avoir jamais perdu une élection, même si je reste humble. D’avoir pu rester moi-même ici, tout en étant respecté et efficace.

Comment travaillez-vous entre sénateurs et députés écolos ?
C’est compliqué avec l’Assemblée nationale. D’autant plus qu’il y a la Nupes là-bas. Mais nous amorçons un travail en commun. C’est important. D’autant que nous œuvrons tous sur les mêmes sujets.

« Avec Sandrine Rousseau, nous ne sommes pas du même monde »

Mais qu’y a-t-il de commun entre un Joël Labbé et une Sandrine Rousseau ?
Moi, j’adore le barbecue (rire). Sandrine Rousseau est brillante, mais nous ne sommes pas du même monde. Moi, je me qualifie d’écolo rural et c’est très minoritaire chez les écolos. Parce que le monde écolo, historiquement, est plutôt urbain.

Mais pourquoi partez-vous, alors qu’il n’y a plus d’écolos ruraux au Parlement ?
Je vais avoir 71 ans. Je me suis toujours dit qu’il fallait se garder d’effectuer le mandat de trop. Il y a un an, j’ai eu un gros coup de fatigue. J’ai dû lever le pied et ça m’a fait réfléchir. Personne n’est indispensable. J’ai fait ce que j’avais à faire. Je vais me consacrer à autre chose maintenant.

À quoi ?
C’est en réflexion. D’abord, je ne veux plus mener une vie aussi trépidante que celle de parlementaire. Mais je vais continuer à travailler. J’ai envie de donner des conférences sur les sujets que je maîtrise. Nous sommes également en train d’œuvrer pour que la loi Labbé contre les pesticides devienne européenne. Pour moi, ce serait un sacré aboutissement. C’est compliqué, mais j’espère bien y parvenir en sensibilisant pays après pays. Je compte aussi continuer à m’investir auprès de l’agriculture biologique, pour la relocalisation de l’alimentation.

 

« J’aime beaucoup Orelsan »

Ne quittez-vous pas la vie politique au bon moment, alors que les violences s’accentuent contre les élus, alors que l’abstention gagne du terrain ?
C’est un vrai sujet d’inquiétude. Pas mal de choses sont en train de se déliter dans la société, la question du respect notamment. La confiance est rompue avec le monde politique. Et pour certains, ça devient de la haine ou de la violence latente. Ce n’est pas une période des plus saines.

Est-ce que pendant vos deux mandats, la poésie et la musique sont restées présentes chez vous ?
Elles sont tout le temps restées présentes. Je me ressource avec elles.

Qu’écoutez-vous aujourd’hui ?
J’aime beaucoup Orelsan. Il a un talent énorme, il est spontané et vrai. Je trouve toujours Damien Saez intéressant. J’ai toujours une relation privilégiée avec Christophe Miossec. J’ai enfin de la sympathie pour Emily Loizeau.

La chanson The times they are a-changin de Bob Dylan vous accompagne-t-elle toujours ?
Oui, même si les temps ne changent pas tant que ça. C’est même désolant. Mais je reste un optimiste combatif. Je sais qu’il faut se battre. Voilà pourquoi je ne vais pas être à la retraite.

Comment voyez-vous votre dernière journée au Sénat, fin septembre-début octobre ?
J’aurai certainement un fort pincement au cœur. Je me vois saluer les collègues élus, les administrateurs du Palais du Luxembourg. Je me vois leur dire qu’on se reverra d’une manière ou d’une autre un jour, qu’il est fort possible qu’ils entendent encore parler de moi. Je vais retrouver les miens, mes terres, la nature, la liberté totale.

« Rien n’était prévu, en fait »

Est-ce que votre engagement a fait naître des envies politiques chez vos cinq enfants, dix petits-enfants ?
Peut-être parmi les petits enfants. Ce n’est pas impossible pour deux ou trois d’entre eux.

Entre vos mandats d’adjoint et de maire de Saint-Nolff, de conseiller général du Morbihan et de sénateur, votre vie publique et politique a duré quarante-six ans. C’est vertigineux, non ?
Pas trop. Je regarde tout cela avec une certaine sérénité. Rien n’était prévu, en fait. Si au cours de ma jeunesse, on m’avait dit que, quelques années plus tard, j’allais devenir maire, puis conseiller général, je ne l’aurais pas cru. Alors, sénateur, c’était juste impensable. Les choses se sont faites en marchant…

D’autant plus que vous êtes une personne timide, fragile…
Cette timidité, on ne la domine jamais, je crois. On vit avec, on avance, on la dépasse par la confiance. Ma fragilité, je l’assume. Pour certains, elle peut être une faiblesse en politique. Pas pour moi !

> À lire aussi : « L’utopie et la vie ! Le combat d’un sénateur breton contre les pesticides ». Par Joël Labbé et Sabrina Delarue, aux éditions Actes Sud.

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