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Lutte contre les pesticides : l’agriculture toujours dispensée

VIDÉOS. En 2019, l’interdiction d’utiliser des phytosanitaires ne concernera que les particuliers et les collectivités, soit seulement 10 % des utilisateurs.
LE POINT.FR – Par Pauline Tissot 03/03/2016

Le grand flou. Depuis l’annonce tonitruante, en juin dernier, de la ministre de l’Écologie Ségolène Royal, d’interdire la vente en libre service dans les jardineries du produit désherbant Roundup, difficile d’y voir clair. Les plans Écophyto (2008 et 2015), ainsi que la loi Labbé (2014), avaient pourtant déjà donné un cadre à l’utilisation des pesticides. S’agit-il maintenant de lutter uniquement contre le Roundup, contre les produits contenant la molécule glyphosate – substance active du Roundup -, ou contre les pesticides dans leur ensemble ? Et à quel horizon ? Et seulement dans les jardineries ?

En juillet dernier, le Parlement a tranché. La nouvelle loi de transition énergétique pour la croissance verte impose un calendrier : d’abord la fin de la mise en vente libre de tous les pesticides – produits chimiques utilisés pour la protection ou le traitement des végétaux – dans les jardineries d’ici la fin de l’année 2016 ; ensuite l’interdiction totale d’utiliser ces pesticides pour les collectivités en 2017, et en 2019 pour les jardiniers amateurs. Dans trois ans, les collectivités et les particuliers ne pourront ainsi plus répandre de produits phytosanitaires dans l’environnement.

 

 

La loi pour la croissance verte concerne donc deux consommateurs de pesticides : les collectivités, mais avant tout les jardiniers amateurs. Or, sur les 62 000 tonnes de ces produits chimiques utilisées chaque année, 90 % concernent les agriculteurs conventionnels (non bio), selon les données de l’association Générations futures. La ministre de l’Écologie, à l’initiative de la nouvelle loi, s’est-elle donc trompée de cible ? On est tenté de le penser au vu des chiffres. « Pourquoi attaquer les 10 % d’utilisateurs minoritaires de pesticides et pas la majorité des 90 % ? », s’interroge Joël Labbé, sénateur à l’origine de la loi Labbé, incorporée en juillet dernier dans le texte de Ségolène Royal. « C’est évidemment stratégique parce que, pour ces 10 %, on pouvait y arriver tout de suite, la preuve. Maintenant, pour les 90 % restant, la problématique est posée. Il s’agit des mêmes molécules utilisées. Et si elles sont dangereuses sur les espaces verts des collectivités et dans les jardins, elles sont tout aussi dangereuses en application agricole. »

Premier pays consommateur de pesticides en Europe

Alors pourquoi les agriculteurs ne sont-ils pas visés par les nouvelles dispositions d’interdiction des pesticides ? « Derrière, il y a les firmes, les pouvoirs financiers, les syndicats comme la FNSEA », accuse Joël Labbé. Il y a surtout un marché très lucratif. Selon le ministère de l’Environnement, l’industrie des pesticides représente en France 1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Ce qui fait de l’Hexagone le premier pays consommateur de pesticides en Europe, le troisième au niveau mondial.

L’État français est-il donc prêt à se séparer d’un secteur de l’économie aussi florissant ? Qui bénéficie d’une semaine de représentation nationale porte de Versailles à Paris tous les ans au mois de février ? Malgré deux plans Écophyto, établis à sept ans d’intervalle, et qui ont repoussé à 2025 l’objectif de baisser de 50 % le recours aux pesticides dans l’agriculture, ce dernier a augmenté de 5 % entre 2009 et 2013, et de 9,3 % pour la seule année 2013, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture. Dans le documentaire de Cash Investigation , diffusé sur France 2 le 2 février dernier, le directeur du lobby européen des fabricants de pesticides (ECPA) déclarait même sans détour que son industrie ne respecterait pas l’objectif des 50 % de baisse. « Ce n’est pas possible sur la base des connaissances actuelles », a-t-il argumenté, enterrant pour longtemps le dernier plan Écophyto.

 

Pollution des eaux souterraines et des sols

Pourtant, les conséquences de l’utilisation de pesticides sur l’environnement sont aujourd’hui connues. Pour le glyphosate par exemple, herbicide le plus vendu au monde, « on nous disait il y a quelques années qu’il était biodégradable, souligne Nadine Lauverjat, coordinatrice de Générations futures. Or ce n’est pas vrai, car on le retrouve – soit lui, soit son produit de dégradation appelé AMPA – dans quasiment 100 % des analyses effectuées dans les eaux souterraines et de distribution en France. Ça, c’est un vrai problème de pollution. » Un constat également confirmé dans le documentaire de France 2.

Et il faut ajouter à cela l’analyse de l’association des Amis de la Terre : « Le glyphosate est soluble dans l’eau, il peut être lessivé dans des sols sablonneux, mais il peut persister plus d’un an dans des sols à forte teneur en argile. » Le sénateur Joël Labbé précise : « Un désherbant chimique total comme le glyphosate ne peut pas supprimer la vie des plantes sans que cela ait d’effet sur les organismes vivants, tels que les insectes ou les microorganismes présents dans la terre, et sur la santé humaine, c’est maintenant avéré. »

Sur ce dernier point, malgré un manque d’études épidémiologiques, de recherches sur l’effet « cocktail » des mélanges de pesticides, et sur l’impact de l’exposition dans la durée, les maladies dues aux produits chimiques chez les agriculteurs ne sont plus un secret pour personne. Dans certains cas – rares –, elles ont été reconnues comme maladies professionnelles.

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