Miel ou pesticides, il faut choisir !

Tribune signée par José Bové, Anny Poursinoff, René Louail et Joël Labbé

Le Parlement européen vient d’adopter une résolution à 534 voix contre 16 – et 92 abstentions – appelant l’Union européenne à coordonner ses efforts pour protéger les abeilles, une espèce menacée. L’urgence de la situation est une réalité. Mais, se limiter à la recherche de nouveaux médicaments afin d’enrayer leur mortalité est insuffisant.
Plus d’ambition est nécessaire. Cette résolution comporte d’importantes lacunes concernant les conséquences des pesticides mais aussi les effets sanitaires et économiques des OGM sur les abeilles et l’activité des apiculteurs. Sur ces questions, l’aveuglement des pouvoirs publics et leur complaisance à l’égard des agro-industriels est suicidaire.
Chaque année, en France, le Conseil d’État annule l’autorisation de mise sur le marché du « cruiser », insecticide accusé par les apiculteurs d’être le facteur principal de la surmortalité des abeilles. Chaque année, cette décision intervient après les semis. Ainsi, chaque année, cet insecticide est bel et bien appliqué sur un grand nombre de semences… en dépit de ses conséquences sanitaires et environnementales connues et re-connues.
Insecticide systémique, le « cruiser » comme les autres néonicotinoïdes se retrouve non seulement dans la plante issue de la semence traitée, mais également dans les rejets qui pousseront l’année suivante ! Leur évaluation actuelle ne permet pas de prendre en compte les effets de l’exposition des abeilles et des autres insectes à ces pesticides à de faibles quantités et tout au long de l’année. L’effet cumulatif est négligé, au mépris des réalités chimiques et biologiques. Le lobby des pesticides a même poussé le culot jusqu’à obtenir en 2011 une autorisation (qui sera sans doute annulée… trop tard) d’utiliser le « cruiser » sur le colza, fleur extrêmement visitée par les abeilles.
Des études de plus en plus nombreuses montrent que l’exposition des abeilles à ce type de pesticides provoque un effondrement immunitaire qui les rend particulièrement sensible à des parasites ou des maladies contre lesquelles elles arrivent d’ordinaire à lutter. L’Italie, qui a complètement interdit le « cruiser », connait une baisse de la mortalité des abeilles. La réussite du miel en ville semble confirmer que les pratiques de l’agriculture intensive sont bien à l’origine de la surmortalité observée depuis plusieurs années à la campagne.
Cette crise est la conséquence d’un système agro-industriel devenu fou. L’agronomie élémentaire est négligée. Au lieu de pratiquer la rotation des cultures dans le temps, les grands cultivateurs organisent la succession jusqu’à épuisement des cultures les plus rentables. Au lieu de diversifier les cultures, les coopératives et les conseillers agricoles préfèrent construire de vastes domaines de monoculture régionale (blé, maïs, vigne… selon les régions). Or, la rotation, l’association et la diversité des cultures sont des techniques bien plus efficaces – et écologiques – pour lutter contre les maladies, parasites et herbes indésirables que l’usage massif des pesticides.
Par leur sensibilité aux pesticides, les abeilles – sentinelles de l’environnement – sont les premières victimes de l’agriculture chimique. Comme tous les pollinisateurs sauvages, elles sont également, victimes des monocultures qui fragilisent leur alimentation et uniformisent les écosystèmes. Non seulement leur mortalité préfigure les ravages sanitaires et environnementaux qui affectent peu à peu l’ensemble des espèces – y compris les humains -, mais elle risque de fragiliser à moyen terme l’agriculture industrielle elle-même. Moins de pollinisateurs est synonyme de moins de rendements. En faisant la sourde oreille aux alertes données par les apiculteurs, les lobbies agro-industriels ne sont-ils pas en train de scier vigoureusement la branche sur laquelle ils sont assis ?
Dans les mobilisations citoyennes comme dans les instances démocratiques où ils proposent une autre conception de l’agriculture, les écologistes rappellent que les abeilles sont des sentinelles de l’environnement et leur sauvegarde constitue un enjeu essentiel pour notre société.

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