Proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France

(Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié)

 Mardi 23 mai 2023, le Sénat a adopté avec modifications, en première lecture, par 210 voix pour et 94 voix contre, une proposition de loi d’origine sénatoriale, déposée par Laurent Duplomb, Pierre Louault, Serge Mérillou et plusieurs de leurs collègues, visant à créer un choc de compétitivité, à travers l’adoption d’un plan « Compétitivité de la ferme France » à horizon 2028.

 Initiative sénatoriale transpartisane, cosignée par plus de 170 sénateurs, ce texte est le fruit des recommandations législatives de la mission d’information sur la compétitivité de la ferme France, adoptée par la commission des affaires économiques en septembre 2022.

Cette proposition de loi a pour ambition de renforcer la compétitivité et l’attractivité du secteur agricole dans ses diverses dimensions. Elle regroupe en un texte unique des mesures de compétitivité qui, jusqu’ici, étaient traitées séparément.

Le texte du Sénat, enrichi par l’adoption d’amendements en séance le 16 mai, entend soutenir la compétitivité et la résilience de l’agriculture française et préparer au mieux le défi du renouvellement des générations et de l’attractivité des métiers agricoles.

 Les sénateurs ont notamment :

  • reconnu la souveraineté alimentaire comme intérêt fondamental de la Nation
  • protégé davantage les agriculteurs français face aux distorsions de concurrence :
  • au sein de l’Union européenne : en donnant la possibilité au ministre de l’agriculture de suspendre une décision de retrait de produit phytosanitaire en cas de distorsion avec un autre État membre et en l’absence de solutions alternatives), et en mettant en place des contrôles réguliers, par des laboratoires habilités, sur l’origine géographique, florale et l’absence d’adultération du miel, dans un contexte où 50% des miels au sein d l’UE sont frauduleux,
  • avec le reste du monde : en remettant à l’agenda du Gouvernement les clauses miroirs pour interdire les produits importés ne respectant pas nos standards),
  • modéré les charges des agriculteurs pour que leur revenu ne soit plus la variable d’ajustement de la compétitivité avec :
    • l’indexation sur l’inflation :de la déduction pour épargne de précaution, du régime fiscal « micro-bénéfice agricole » applicable aux exploitants agricoles, de l’exonération sur les plus-values,
    • un taux de TVA intermédiaire pour l’élevage et l’entraînement des équidés,
    • l’extension de l’exonération sociale bénéficiant aux employeurs agricoles de travailleurs saisonniers aux entreprises de travaux forestiers
  • encouragé le renouvellement des pratiques et l’adaptation de notre agriculture au changement climatique avec :
  • le financement possible de l’accès au foncier des jeunes agriculteurs et des investissements immatériels par le livret Agri,
  • le caractère d’intérêt général accordé aux ouvrages de prélèvement de stockage de l’eau agricole à usages partagés.

 Le texte ainsi adopté est transmis à l’Assemblée nationale, pour examen en première lecture.

 

Intervention de Joël Labbé

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir écouté les deux premiers orateurs, je ne puis que constater que nos avis sont particulièrement divergents… (Sourires.)

Laurent Duplomb. Ça, c’est sûr !

Joël Labbé. « Choc de régression », « cheval de Troie de l’agroindustrie », « proposition de loi d’un autre temps » : ces mots sont ceux des associations paysannes, environnementales et de consommateurs,…

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Non, ce sont les vôtres !

Joël Labbé. … pour décrire les reculs inacceptables qu’entraînerait ce texte, qui a choqué, à juste titre, l’ensemble des acteurs travaillant depuis des années à construire un modèle agricole et alimentaire plus durable et plus équitable.

De fait, les reculs, que nous continuons de dénoncer, sont nombreux dans ce texte : parmi eux, la remise en cause de l’Anses, ainsi que la proposition de mettre en balance la santé et l’environnement avec les enjeux économiques pour le retrait des pesticides nous semblent particulièrement graves.

L’autorisation d’épandage de pesticides par drone, malgré les risques sanitaires pointés par l’Anses, constitue également un recul majeur.

La séparation entre vente et conseil en matière de pesticides est une régression et un très mauvais signal adressé à tous ceux qui croient en la nécessité de développer un conseil indépendant auprès des agriculteurs, lequel contribuera à la réduction – parce que c’est le but –, puis à la fin du recours à ces produits.

De même, plutôt que de faire appel au volontarisme des acteurs pour appliquer la loi Égalim dans la restauration collective, l’article 11 acte là encore un retour en arrière, en repoussant l’échéance et en abaissant l’exigence de qualité.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Mais non ! Qu’est-ce que vous racontez ?

Joël Labbé. S’agissant de l’eau, le texte donne de façon très inquiétante la priorité au stockage pour l’irrigation, en le considérant comme d’intérêt général majeur, sans engager de réflexion sur le partage de cette ressource. Il prévoit aussi de soutenir massivement et sans conditionnalité l’investissement agricole.

Enfin, dans un contexte de tensions sociales, on propose, alors qu’il s’agit d’un texte sur l’agriculture, de réformer Pôle emploi et de mettre en œuvre le cumul RSA-revenus d’activité au détriment des droits sociaux !

Les solutions figurant dans cette proposition de loi ne répondent pas aux questions cruciales touchant au revenu des agriculteurs et à la hausse des importations de produits alimentaires : se lancer dans la course au moins-disant ne permettra pas de construire notre souveraineté alimentaire. Cela accélérera notre dépendance aux intrants issus d’importations, dont les coûts explosent. Cela affaiblira également les écosystèmes, alors que les agriculteurs dépendent des sols, des pollinisateurs, du cycle de l’eau et du climat.

Les solutions se trouvent plutôt dans la régulation des marchés et la sortie des accords de libre-échange, ainsi que dans une répartition équitable de la valeur. Elles résident aussi dans un rééquilibrage des aides de la politique agricole commune (PAC), qui sont inégalement distribuées et dont la répartition se fait souvent au détriment des filières pour lesquelles les importations augmentent.

Il s’agit également de mener avec volontarisme une politique de relocalisation de notre alimentation.

À cette fin, il faut faire en sorte que toutes et tous accèdent à une alimentation de qualité : on ne peut que déplorer l’abandon du chèque alimentation durable, qui devrait être un premier pas vers le droit pour tous à une alimentation de qualité et locale, bénéfique pour les agriculteurs et nos concitoyens, en cette période d’explosion de la précarité.

Nous continuerons de défendre une sécurité sociale de l’alimentation, afin de conjuguer droit à une alimentation durable et rémunération équitable des agriculteurs. En effet, le modèle agroécologique, fondé sur des pratiques agronomiques permettant de se passer d’intrants, conjugué avec des politiques alimentaires fortes, permettra – nous en sommes convaincus – de relever le défi de la transition.

Pour y parvenir, nous avons cependant besoin d’un soutien massif des solutions de rechange, car, aujourd’hui, seul 1 % de la dépense publique agricole contribue à la sortie des pesticides.

Il faut également soutenir l’agriculture biologique, à laquelle cette proposition de loi n’a pas consacré une seule ligne. La transition se doit d’être accompagnée et organisée. Lors de son audition au Sénat, le directeur de l’Inrae a souligné que l’anticipation était préférable à l’attentisme face à l’arrivée de contraintes extérieures. Il a aussi insisté sur la stabilité et la cohérence des politiques publiques.

Selon l’Inrae, après un travail scientifique sérieux, la sortie des produits phytosanitaires à l’horizon de 2050 est possible. Pour cela, la recherche a besoin de moyens importants. Le directeur de l’Inrae nous a ainsi appris que le budget « recherche » de Bayer, l’un des piliers du funeste Phyteis, était quatre fois supérieur à celui de son institut. C’est dire si nous devons encore faire des efforts !

Avec ce texte, qui fait l’impasse sur les enjeux environnementaux et sanitaires à venir et qui revient sur le droit existant, c’est tout le contraire qui est proposé.

Malgré tout, les propositions que nous contribuons à défendre, bien qu’elles aient été caricaturées durant les débats, portent parfois leurs fruits.

Ainsi, alors que nous vous alertions, à l’occasion de l’examen de chaque texte budgétaire, sur l’absence d’application de la loi Égalim dans la restauration collective, les annonces récentes du Gouvernement, monsieur le ministre, semblent enfin aller dans le bon sens.

Idem pour le soutien à l’agriculture biologique au sujet duquel, en lien avec les filières, nous vous avertissons depuis des mois. Les financements annoncés sont nécessaires, même s’ils restent tardifs et encore insuffisants.

Alors que nous assistons avec regret et dépit au vote de ce texte, auquel nous nous opposons fermement, nous resterons vigilants et combatifs, de sorte que les futurs débats sur la loi d’orientation et d’avenir agricoles permettent d’offrir de véritables solutions pour notre agriculture.

Nous voterons farouchement contre ce texte. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je profiterai des quelques minutes qu’il me reste pour évoquer les projets alimentaires territoriaux, obtenus de force dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014 : partout où ils ont été mis en place, ces projets jouent parfaitement leur rôle.

Permettez-moi, mes chers collègues, de formuler ce qui n’est pour l’instant qu’un vœu pieux : voir l’ensemble du territoire français couvert de projets alimentaires territoriaux, car ils contribuent à la souveraineté alimentaire des territoires, (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDPI.), à une rémunération plus juste des agriculteurs et au respect de la biodiversité et du climat.

Vous me direz peut-être – je crois déjà vous entendre – qu’il s’agit là d’une utopie. Eh bien, je vous répondrai que c’est justement l’utopie qui nous sauvera la vie ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Frédéric Marchand applaudit également.)

 

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