Commerce équitable France

3 questions à Joël Labbé, Sénateur du Morbihan

COMMERCE ÉQUITABLE FRANCE –  04/12/2020

Question 1
Votre engagement en faveur d’une agriculture et d’une alimentation durable ne date pas d’hier. Vous avez beaucoup œuvré pour recréer du lien entre agriculture, alimentation et territoire et ainsi donner plus de place à des produits de qualité dans notre alimentation quotidienne.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les raisons qui ont motivé votre choix de porter un amendement en faveur d’une réduction de la TVA pour les produits issus du commerce équitable ? Quelles sont les raisons qui ont motivé votre choix de porter un amendement au projet de loi finance 2021 en faveur d’une réduction de la TVA pour les produits issus du commerce équitable ?

Je suis issu du milieu agricole et donc particulièrement sensible aux questions liées à l’alimentation.  L’urgence écologique appelle des réformes très fortes, pour réorienter notre système agricole et alimentaire, aujourd’hui dans une impasse, à la fois environnementale et sociale. On le sait, les agriculteurs sont, pour beaucoup, dans de très fortes difficultés économiques, du fait d’une pression sur les prix.
Ces difficultés économiques sont trop souvent le fait de pratiques commerciales inéquitables, et empêchent de nombreux agriculteurs de changer de système. Le lien avec les consommateurs devient alors compliqué, à l’heure ou le moindre questionnement du citoyen sur son alimentation risque d’être assimilée à de l’agribashing…  Le commerce équitable apporte une véritable réponse à ces problématiques : en assurant une rémunération juste pour les producteurs, et une qualité environnementale des produits, cette démarche est vertueuse et permet de sortir de l’impasse.
Le commerce équitable apporte une véritable réponse à ces problématiques : en assurant une rémunération juste pour les producteurs, et une qualité environnementale des produits, cette démarche est vertueuse et permet de sortir de l’impasse.
Une réforme de la TVA permet d’accompagner le mouvement, et d’agir sur l’accessibilité de ces produits, en baissant leur coût pour les consommateurs. Elle permet aussi d’envoyer un signal fort aux producteurs, et une reconnaissance des externalités positives du commerce équitable, en termes d’emploi, de bien-être au travail, d’environnement, de qualité alimentaire… C’est la raison pour laquelle il est important pour nous de porter cette réforme de la TVA. Si elle ne peut être la seule réponse pour favoriser la consommation et la production de produit issus du commerce équitable, elle n’en demeure pas moins un élément important.

Question 2
L’amendement a été rejeté par le gouvernement sur la base d’un argument qui peut être remis en cause : celui de la non-conformité de cette proposition avec le droit européen. Or, la directive européenne sur le sujet a été modifiée en 2020 supprimant ainsi les limitations pour tous les produits alimentaires. La Commission européenne invite même les États membres à se saisir de la politique fiscale pour contribuer à une société plus équitable et à une transition juste. Comment expliquez-vous la posture du gouvernement sur cette question ? Quels sont les recours possibles ?

La question de l’articulation entre droit européen et droit français est complexe… et il est vrai que les produits commerce équitable ne sont pas tous alimentaires. Mais la France devrait, au moins pour les produits alimentaires, envoyer un signal fort. On sait que lorsque la France agit, elle peut être suivie par toute l’Europe. Par exemple sur l’interdiction des néonicotinoïdes, la France a eu un rôle majeur pour obtenir l’interdiction européenne, c’est pour cela que le recul de ces derniers mois sur ce sujet est plus que problématique.
Il faut donc continuer à porter ce projet de baisse de la TVA, à la fois au niveau français et européen. Le prochain projet de loi de finance nous permettra de remettre ce projet sur la table.

Question 3
Les acteurs du commerce équitable agissent sur le terrain, dans les pays du Sud comme en France, pour défendre des partenariats commerciaux plus équitables et une rémunération juste des agriculteurs. L’équité économique nous semble être la clef de voûte – dont on parle peu – pour donner les moyens aux producteurs d’investir dans la transition écologique. Ces initiatives aujourd’hui ont besoin des pouvoirs publics pour changer d’échelle et contribuer à la transformation culturelle dont notre société a besoin pour passer de la niche à la norme. À votre avis, quels sont les leviers possibles ?

La réforme de la PAC doit être un levier pour une rémunération plus juste des agriculteurs. La réforme actuelle est décevante, mais il est encore possible de faire bouger les lignes. Notamment, une régulation des marchés est nécessaire ! On sait bien que c’est la fin des quotas sucrier qui a amené les difficultés dans la filière sucre, difficultés qui ont servi de prétexte pour faire ré-autoriser les néonicotinoïdes… Sans régulations permettant de garantir des prix justes aux producteurs, la transition écologique restera très compliquée à mener. Une meilleure répartition des aides PAC est également nécessaire.  Enfin la mise en place de paiement pour services environnementaux pourrait elle aussi permettre de rendre plus accessible les produits bio et équitables, en rémunérant les agriculteurs pour leurs bonnes pratiques.

Sans régulations permettant de garantir des prix justes aux producteurs, la transition écologique restera très compliquée à mener.

Il faut aussi se battre au niveau national, la France doit notamment adopter un plan national stratégique qui traduira la PAC en France et qui devra être ambitieux sur la transition agroécologique de l’agriculture. Je sais que Commerce Equitable France fait partie du collectif « Pour une Autre PAC » et travaille activement sur ce sujet. Il faut continuer la mobilisation, en associant société civile, politiques et citoyens.

L’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation, pour permettre à tous d’accéder à une alimentation de qualité, est une piste à creuser.  Enfin, il faut travailler sur la relocalisation de l’alimentation pour garantir par des circuits les plus courts possible, un revenu aux producteurs locaux et limiter la course au moins-disant social et environnemental, lié à une concurrence internationale dérégulée. Cette relocalisation doit bien sûr aller de pair avec la création d’un commerce équitable juste au niveau international.

Il faudra donc se mobiliser pour que ce plan de relance viennent en soutien aux acteurs du commerce équitable.

Le plan de relance actuel comporte quelques axes qui peuvent être intéressants, mais dont la mise en œuvre concrète est encore floue : il faudra se battre pour que les financements prévus, par exemple pour le plan « protéines végétales », l’investissement pour les abattoirs, ou encore les financements destinés aux projets alimentaires territoriaux, ne soient pas fléchés vers l’agro-industrie mais bénéficient aussi aux acteurs de terrain qui portent la véritable transition agroécologique. Il faudra donc se mobiliser pour que ce plan de relance viennent en soutien aux acteurs du commerce équitable.

Question bonus
Commerce Équitable France soutient 4 propositions en faveur d’une fiscalité sociale et écologique pour soutenir la consommation responsable et favoriser les entreprises qui investissent dans des pratiques bonnes pour l’environnement et la société en général. L’une d’entre elles était la TVA réduite. Que pensez-vous des trois autres propositions ?

Le commerce équitable est générateur de nombreuses externalités positives, en termes de protection de l’environnement, de création d’emplois. Il permet le développement de l’agriculture bio et de l’agroécologie. Il faut stimuler des modèles qui permettent de rémunérer de manière juste les producteurs, d’autant plus lorsque l’on connaît la souffrance du monde agricole et ses conséquences à la fois pour leur santé, mais aussi, c’est son corollaire, pour l’attractivité du métier, alors que 50% des agriculteurs partiront à la retraite d’ici 10 ans. Si nous ne réussissons pas le renouvellement des générations, et poursuivons dans une logique d’agrandissement des fermes, c’est tout l’aménagement des territoires ruraux qui sera remis en cause : les agriculteurs apportent du dynamisme dans les campagnes, contribuent très fortement à la vie de ces territoires.

Toutes ces externalités positives, il est plus que légitime de les rémunérer ! Une fiscalité incitative pour le commerce équitable est donc juste et efficace pour un réel changement d’échelle, afin que les acteurs puissent s’engager dans la voie de la transition.

Un grand merci à Joël Labbé et à Fanny Duperray.

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