Le Télégramme

Catherine Flohic. Tout un livre sur l’huître

LE TÉLÉGRAMME – Thierry Dussard / 19-07-2015

Auteure et éditrice, elle publie un livre de 350 pages sur l’huître, après avoir rencontré 30 amoureux et spécialistes de ce coquillage fabuleux. On y apprend tout sur la vie sexuelle des japonaises, et les transformations des triploïdes, parce que « l’huître a un sens », dit-elle, et ce n’est pas un sens unique.

Les plates, les creuses, les japonaises, ou les portugaises, on en croise de toutes sortes sur les plages et même des pieds de cheval, ou des oreilles de lapin. Méfiez-vous de celles-là, tout en longueur, ce sont sûrement des triploïdes et mal élevées en plus. « L’huître triploïde, c’est ce qui m’a incitée à me lancer dans ce gros livre lorsque je me suis aperçue que plus de la moitié des huîtres que l’on mange sont des organismes vivants modifiés (OVM), et que ce n’est même pas signalé », confie Catherine Flohic, sur un ton doucement révolté.

1.000 € le mâle reproducteur

Cette Bretonne a commencé par aller voir un Lyonnais, Louis Teyssier, producteur d’huîtres nées en mer, à Blainville, dans la Manche. Ah ! bon, parce qu’il y a des huîtres qui naissent en couveuse ? Oui, dans des écloseries industrielles, avant d’être livrées en caisse polystyrène et glissées dans des poches grillagées qui sont immergées, et retournées régulièrement. Mais Catherine Flohic a bondi en apprenant que la plupart des huîtres sont maintenant stériles et que le coquillage hermaphrodite, qui change de sexe d’une saison à l’autre, était donc, à terme, menacé de disparition. Enfin, pas tout à fait, il reste des « mâles reproducteurs, qui sont vendus 1.000 € pièce et envoyés aux ostréiculteurs par Chronopost, ajoute-t-elle. La coquille vide est consignée et doit être renvoyée après usage à l’Ifremer ». Ce nouveau mollusque triploïde, doté de trois chromosomes, a en effet un double avantage. Stérile, il ne fabrique pas de laitance en été, et peut ainsi être consommé toute l’année. Finis, les seuls mois en ?r? où l’on pouvait déguster ces fruits de mer sans avoir l’impression de manger de la crème fraîche.

L’huître des quatre saisons

Second atout, libérée de tout souci de reproduction, l’huître grandit plus vite, en deux ans au lieu de trois. « C’est l’huître des quatre saisons mais il ne faut pas confondre OVM et OGM, déclare Yves Le Borgne, expert en coquillages. On a longtemps pensé que l’huître était un caillou et tout le bruit que l’on fait autour des triploïdes va inciter à ce que l’on améliore leurs conditions d’élevage ». Catherine Flohic reste malgré tout sceptique et elle a poursuivi son tour de France des ostréiculteurs. Jean-Noël Yvon et Tifenn Vigouroux, à Listrec, dans la ria d’Etel (56). Ou Mickaël Glaunec, sur la rivière de Pénerf, en Morbihan, qui s’est refermé comme une huître, et « n’aborde jamais la question des triploïdes » avec ses collègues, tout en militant pour des méthodes traditionnelles et naturelles. Il a même maintenant son propre naissain à Arcachon, qui lui garantit une traçabilité parfaite. Les jeunes huîtres prennent ensuite la route pour la Bretagne, d’où certaines repartiront vers Marennes-Oléron, afin de prendre cette belle teinte verte, et la mention « Fine de claire » après 28 jours en bassin.

Des arômes de noisette

Catherine Flohic a poursuivi son chemin et multiplié les rencontres avec tout ce que le littoral compte de spécialistes. Mais en contournant les stars, tel Joël Dupuch au Cap Ferret. Elle n’a pourtant pas pu éviter Bourcefranc-le-Chapus, en Charente-Maritime, le berceau des huîtres haute couture signées Gillardeau. L’ostréiculteur, qui grave ses coquilles au laser d’un ?G?, est malgré tout partisan des triploïdes, gages d’un goût régulier. « Nous parlons de meroir pour les huîtres comme de terroir pour le vin », dit joliment Véronique Gillardeau, dont les parcs vont du Portugal, à l’Irlande et l’Écosse. Encore faut-il que l’huître soit en contact avec le fond de l’eau, comme chez Yvon Madec, dans les abers, et non pas hors-sol. Et quel goût elle a, cette triploïde ? « Charnue et délicieuce », répond Catherine Flohic, qui s’avoue désarmée par l’évidence. Le jeune repreneur des Bars à Huîtres, à Paris, le confirme, « au niveau gustatif, c’est le chapon de l’huître », déclare Garry Dorr, enthousiaste. « Les triploïdes offrent une harmonie quelles que soient les saisons », assure Florent Tarbouriech, le roi de l’huître de Bouzigues, dans la lagune de Thau, en Méditerranée. À défaut de marée, il suspend les coquilles à des cordes qu’un système de poulies sort de l’eau régulièrement, pour reproduire le flot et le jusant. Les huîtres aiment cette gymnastique et se musclent ainsi. Résultat, des arômes de noisette un peu sucrés !

Pour un étiquetage « huîtres sauvages »

Inébranlable, Catherine Flohic estime qu’il y a un risque avec les triploïdes. « L’huître industrielle conduit aux excès et la limite des 5.000 poches par hectare dans les parcs est souvent dépassée. Comment expliquer autrement la surmortalité que l’on a vue en 2008 ? ». Avec le sénateur du Morbihan, Joël Labbé (EELV), elle milite pour l’étiquetage des huîtres sauvages, « nées en mer » mais le projet stagne au Sénat, entre deux eaux.

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Pratique « L’huître en questions », aux éditions Les Ateliers d’Argol.

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