Eau potable : une facture assaisonnée aux néonicotinoïdes

GAZETTE DES COMMUNES – Par Sylvie Luneau – 09/05/2016

Nouveau round de débats sur les néonicotinoïdes : le Sénat, qui entame l’examen en seconde lecture du projet de loi sur la biodiversité, s’apprête à supprimer l’interdiction de ces insecticides neurotoxiques, votée par les députés. Préjudiciables à la santé et à l’environnement, ces néo-pesticides puissance XXL risquent aussi de faire flamber le coût du traitement de l’eau.

Les députés l’ont votée de justesse (30 pour et 28 contre), le 17 mars 2016. C’est désormais au tour des sénateurs de se prononcer, du 10 au 12 mai, sur l’interdiction desnéonicotinoïdes, lors de l’examen, en seconde lecture, du projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le rapporteur du texte au Sénat a défendu, en vain, un maintien du bannissement de ces produits, dont l’entrée en vigueur aurait été reportée de 2018 à 2022. Mais la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a adopté le 4 mai, contre l’avis de Jérôme Bignon (LR, Somme), un amendement suspendant l’interdiction. Un vote qui a rallié l’unanimité des membres du groupe Socialiste et Républicain et du groupe Les Républicains. Le débat en séance publique s’annonce donc animé, avec une probabilité réduite de retour à la rédaction de l’Assemblée nationale.

Des coûts de potabilisation croissants

Sur le bassin Rhin-Meuse, 72 % des habitants attribuent aux pesticides la dégradation de l’eau des rivières, selon une récente étude d’opinion menée par Harris Interactive pour l’agence de l’eau. L’imidaclopride est la substance la plus emblématique – et la plus vendue – des néonicotinoïdes. C’est l’une des cinq molécules les plus couramment présentes dans les fruits et légumes. Au fil du temps, elle est de plus en plus souvent retrouvée dans les cours d’eau et a rallié, en 2013, le top 15 des polluants les plus fréquemment détectés. C’est aussi le seul insecticide décelé dans les rivières.

Une « tendance préoccupante », selon le Commissariat général au Développement durable (CGDD). Cette pollution des eaux brutes implique des coûts de traitement de plus en plus élevés pour rendre l’eau potable (1). En 2011, un rapport du CGDD sur les coûts des principales pollutions agricoles de l’eau imputait 7 à 12 % de la facture des ménages aux pollutions agricoles diffuses et estimait que 45 % des volumes prélevés annuellement (soit 2,7 milliards de m3) sont traités contre les pesticides. Note globale : entre 260 et 360 millions d’euros par an. Sur le bassin Seine-Normandie, 225 des 750 usines de production d’eau potable sont équipées d’un dispositif de traitement des pesticides.

Des captages condamnés

Au-delà d’un seuil de 5 μg/L dans les eaux brutes, il n’est plus possible de traiter la ressource pour la rendre potable. En conséquence, les collectivités sont obligées d’abandonner certains captages. Le CGDD évalue entre 20 et 60 millions le surcoût annuel lié au déplacement des captages, qui concernerait 10 % de l’eau potable. Le surcoût de l’interconnexion, qui consiste à mélanger les eaux polluées avec des captages moins contaminés, se chiffrerait entre 20 et 40 millions d’euros par an et concernerait environ 15 % des eaux potabilisées.

« Ce chiffre est plus élevé sur les eaux superficielles, relève Emmanuel Pichon, chargé de mission eau potable à l’agence de l’eau Loire-Bretagne. L’interconnexion est par exemple très développée dans la Beauce. Ainsi, en Eure-et-Loir, sont prévus à hauteur de 86 millions d’euros des travaux d’interconnexions et de 4 millions d’euros pour les usines de traitement de 2012 à 2021. Sur ces 90 millions, 65 sont directement liés à des problèmes de pollution agricole des captages d’eau potable. Les projets concernent essentiellement des collectivités rurales, où le coût par habitant s’avère énorme. Cette pratique n’est pas durable et révèle un certain désarroi », commente le responsable de l’agence de l’eau.

La non-conformité de l’eau potable au regard des pesticides

Carte

Population ayant été alimentée par de l’eau non-conforme vis-à-vis des pesticides n’ayant pas nécessité une restriction d’usage – Année 2012

Une contamination généralisée des milieux

Au niveau européen, la Commission a déjà restreint l’utilisation de trois substances de la famille des néonicotinoïdes (2), suite à plusieurs avis de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA). Apparus en 1995, ces insecticides sont accusés de décimer les abeilles : avant leur apparition, leur mortalité avoisinait 5 % par an en France contre 30 % aujourd’hui. Mais ces insectes pollinisateurs ne sont plus les seuls touchés : des mortalités sont désormais relevées chez les oiseaux par les chasseurs et chez les invertébrés également. Des risques sont aussi mis en évidence  pour la santé humaine : toxicité neurologique, perturbation endocrinienne, etc.

Leur usage s’est largement répandu tant au plan préventif (enrobage des semences pour le blé, la betterave, le maïs) que curatif (pulvérisation) sur le colza, les arbres fruitiers ainsi que sur la vigne depuis 2013. Leur particularité : ils sont transportés dans tous les tissus de la plante (feuilles, fleurs, racines, tiges, pollen, nectar). En outre, leur persistance et leur solubilité conduisent à une contamination des sols, de l’air, de l’eau et de la végétation.

Au final,  en prenant en compte les «externalités négatives» des pesticides (coûts réglementaires, sanitaires, environnementaux et d’évitement), ces substances chimiques pourraient coûter plus chers qu’elles ne rapportent, selon une récente étude menée par Denis Bourguet et Thomas Guillemaud, chercheurs à l’Institut national de la recherche agronomique.

 

FOCUS

Abeilles : des services à 153 milliards de dollars

Depuis que l’Italie a interdit l’usage des néonicotinoïdes, les mortalités de ruches ont chuté de 37 % à 15 % en trois ans. Sans préjudice pour les autres cultures, car il existe de nombreuses formes de luttes antiparasitaires alternatives, n’entraînant pas de baisse de rendement. Après avoir interdit l’usage des néonicotinoïdes sur céréales d’hiver, l’Allemagne a maintenu son rang de deuxième producteur européen.

A l’échelle mondiale, l’Institut national pour la recherche agronomique a évalué les services non marchands de la pollinisation à 153 milliards de dollars (134,3 milliards d’euros) par an. L’Hexagone n’héberge plus que 25 % des colonies nécessaires à la pollinisation, selon l’Union nationale de l’apiculture française.

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