Huffington Post

Nous défendons la création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement pour débarrasser la planète des pesticides dangereux

HUFFIGTON POST – 03/04/2017

Nous avons besoin d’une instance internationale susceptible d’imposer les normes environnementales aux firmes privées dont les moyens financiers permettent d’influencer les politiques gouvernementales.

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Joël Labbé
Sénateur écologiste du Morbihan, auteur de la loi Labbé visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires

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Olivier De Schutter
Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme à l’ONU (2008-2014)

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Un rapport de deux experts indépendants des Nations Unies sur les conséquences de l’usage des pesticides à l’échelle du globe a fait couler un peu d’encre lors de sa sortie le 7 mars dernier. Mais l’écho médiatique demeure faible eu égard à l’ampleur des enjeux.

En effet, si les conclusions du rapport d’Hilal Elver (rapporteuse spéciale pour le droit à l’alimentation) et de Baskut Tuncak (rapporteur spécial sur les substances toxiques) sont étayées par d’autres rapports scientifiques que le document cite, elles sont pour le moins accablantes concernant les conséquences du modèle agricole productiviste actuel et de son addiction aux pesticides : « L’utilisation excessive de pesticides est très dangereuse pour la santé humaine et l’environnement, et c’est un mensonge de prétendre qu’ils sont néanmoins essentiels pour assurer la sécurité alimentaire ». Les deux experts onusiens évaluent le nombre de décès provoqués par les pesticides à 200.000 par an, auxquels s’ajoutent l’explosion de maladies (Alzheimer, Parkinson, troubles endocriniens, etc.), la détérioration des sols, la pollution des eaux ou encore la disparition dramatique des abeilles partout sur la planète, sachant qu’un tiers de l’alimentation mondiale résulte de la pollinisation des cultures par les abeilles.

Pour Hilal Elver et Baskut Tuncak, les grandes multinationales de la chimie (Bayer, Syngenta, Monsanto…) nient sciemment les risques sanitaires et environnementaux liés à l’usage des produits toxiques qu’elles vendent et mènent une propagande à l’échelle mondiale, faisant croire à la nécessité de l’utilisation des pesticides pour assurer la sécurité alimentaire. Pour les deux experts, les législations nationales sont beaucoup trop laxistes face à l’industrie chimique. Et ils appellent la communauté internationale à adopter rapidement un traité mondial contraignant réglementant l’usage des pesticides.

En la matière, il existe d’ores et déjà des textes internationaux réglementant l’usage des produits chimiques dangereux. Adoptée en 1998 sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et entrée en vigueur en 2004, la Convention de Rotterdam permet à un pays de décider quels sont les produits chimiques ou pesticides qu’il accepte ou qu’il peut refuser s’il ne se considère pas en mesure de les gérer en toute sécurité. Cet instrument demeure cependant très insuffisant, sauf si les gouvernements concernés prennent toutes les mesures requises pour protéger efficacement leurs populations contre les impacts des polluants chimiques dangereux. Et les agences réglementaires ne sont manifestement pas à la hauteur: ce 15 mars encore, les experts de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) ont rendu leur avis sur le glyphosate, la substance chimique de base des désherbants les plus utilisés au monde comme le Roundup, le considérant comme « non cancérogène ». Or cet avis va directement à l’encontre des conclusions du Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l’Organisation mondiale de la santé qui, sur la base d’une revue de près de 800 études épidémiologistes, avait abouti à la conclusion inverse (il est vrai, en accordant moins de foi aux données fournies par les seules entreprises, et en tenant compte de ce qu’en pratique, le glyphosate est utilisé en combinaison avec d’autres substances dans un produit commercial tel que le Roundup). Bref: le public européen mériterait qu’on prenne sa santé plus au sérieux.

On le voit bien, malgré tous les textes internationaux en vigueur, malgré les rapports accablants qui s’accumulent, malgré les preuves de plus en plus incontestables de la nocivité pour la santé d’un certain nombre de produits chimiques commercialisés partout sur la planète, les bénéfices des grandes firmes agrochimiques prévalent encore et toujours sur l’intérêt général, la vie des populations et la préservation de notre environnement. C’est cette logique que les deux experts indépendants de l’ONU veulent combattre. Malheureusement, il est à craindre que le traité supplémentaire qu’ils réclament soit impuissant à freiner l’empoisonnement de la planète par les pesticides tant qu’il n’existera pas d’instance internationale susceptible de l’imposer juridiquement à de grandes firmes privées dont les moyens humains et financiers permettent d’influencer les politiques gouvernementales, et qui jouent adroitement du chantage selon lequel elles seules, avec leurs technologies chimiques, seraient en mesure de « nourrir le monde ».

C’est pourquoi nous défendons la création d’une Organisation mondiale de l’environnement, apte à faire prévaloir les normes environnementales sur les intérêts commerciaux, productrice d’une jurisprudence s’imposant à l’ensemble des parties, Etats, organisations internationales et multinationales; une OME qui donne plus de visibilité et de poids politique au droit international de l’environnement, en le rationalisant et en le dotant de ressources propres enfin à la hauteur des enjeux; une OME enfin qui permette de débarrasser la planète des pesticides dangereux.

L’idée d’une Organisation mondiale de l’environnement était à la mode au début des années 2000. Elle a été successivement portée en France par les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande, avant d’être abandonnée pour aller plutôt vers un renforcement du PNUE. Mais nous sommes en 2017 et, 25 ans après le Sommet de la Terre de Rio et en dépit des quelque 200 traités internationaux de protection de l’environnement adoptés depuis les années 70, nous ne disposons toujours pas d’une institution internationale suffisamment forte pour garantir efficacement le respect du droit de l’environnement, comme l’Organisation mondiale du commerce le fait pour la libéralisation commerciale. Pire encore, la tendance actuelle, en Europe comme aux Etats-Unis avec la victoire de Donald Trump, n’est plus au multilatéralisme mais au contraire à la fermeture des frontières et au repli sur soi, les institutions internationales ayant mauvaise presse, alors qu’elles sont plus que jamais nécessaires face à la globalisation des périls environnementaux de toute sorte comme les pesticides. Il ne s’agit pas d’inventer un énième « machin » technocratique qui viendrait s’imposer aux peuples, mais bien de doter les Nations Unies d’un nouvel outil en charge de défendre efficacement l’intérêt général de l’humanité et de la nature contre toutes les prédations.

Dans l’actuelle campagne présidentielle française, trois candidats ont pour l’instant inscrit dans leur programme la création d’un « Office mondial des biens communs » (c’est le terme de Benoît Hamon) ou de l’Organisation mondiale de l’environnement (pour Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon), ce dernier s’engageant également à faire reconnaître internationalement le crime d’ « écocide ». Mais notre classe politique doit comprendre qu’il ne suffit pas de proposer un gadget politique, une mesure jetée sur un bout de papier pour montrer son progressisme international, à oublier dès le lendemain de l’élection. Il s’agit au contraire de se doter d’un outil multilatéral indispensable à la communauté internationale pour faire enfin prévaloir les droits humains et de la nature sur le droit des affaires, une OME pour en l’espèce, comme le demande instamment le rapport onusien d’Hilal Elver et Baskut Tuncak, débarrasser enfin la planète des pesticides dangereux.

Les co-auteurs de cette tribune :

Valérie Cabanes, auteure et juriste en droit International, fondatrice de l’ONG Notre Affaire à Tous pour la justice climatique et la reconnaissance du crime d’écocide.
Benjamin Joyeux, fondateur de l’APOME, association pour la promotion de l’Organisation mondiale de l’environnement).

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