Prévention du suicide des agriculteurs


PROPOSITION DE LOI
visant à prévenir le suicide des agriculteurs,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 26 septembre 2019



PRÉSENTÉ PAR

MM. Henri CABANEL, Alain BERTRAND, Mme Maryse CARRÈRE, M. Yvon COLLIN, Mme Josiane COSTES, M. Ronan DANTEC, Mme Nathalie DELATTRE, MM. Jean-Marc GABOUTY, Éric GOLD, Jean-Noël GUÉRINI, Éric JEANSANNETAS, Mme Mireille JOUVE, M. Joël LABBÉ, Mme Françoise LABORDE, MM. Jean-Claude REQUIER, Jean-Yves ROUX et Raymond VALL, sénateurs.
(Envoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Si la question du suicide des agriculteurs est longtemps restée taboue, elle est aujourd’hui de plus en plus souvent évoquée publiquement en raison de son ampleur. Les derniers chiffres connus, publiés par la Mutualité sociale agricole (MSA), en septembre dernier, révèlent désormais qu’il y a un suicide d’agriculteur chaque jour. En 2015, 605 décès par suicide d’assurés du régime agricole ont été identifiés. La Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) a calculé le taux de suicide à partir des données du Système national des Données de santé (SNDS) : sur les 605 suicides recensés en 2015, 496 l’ont été chez les hommes et 109 chez les femmes.
En outre, on estime que le phénomène serait sous-estimé, les médecins ayant parfois des difficultés à déterminer si la nature du décès était intentionnelle ou accidentelle.
Quelques constantes ont été observées : un excès de mortalité par suicide chez les hommes agriculteurs exploitants et un acte touchant davantage les hommes âgés de 45 à 64 ans. Deux secteurs d’activité sont particulièrement concernés : l’élevage bovins-viande (un excès de suicide de 127 % en 2008 et 57 % en 2009) et l’élevage bovins-lait (un excès de suicide de 56 % en 2008 et 47 % en 2009).
Plus que pour tout autre secteur d’activité, les agriculteurs doivent affronter des aléas qui remettent en cause, parfois de façon irréversible, l’investissement de toute une vie. Ils sont en effet régulièrement confrontés à des crises économiques, sanitaires et climatiques qui peuvent se succéder d’une année sur l’autre et se cumuler.
À cela s’ajoute l’agribashing qui place l’agriculteur dans une posture d’accusé. La perte de revenus, la solitude, la maladie, le surendettement et la lourdeur administrative développent également ce contexte anxiogène qui conduit des hommes et des femmes à commettre l’irréparable.
En réponse à ces drames, en 2011, dans le cadre du Programme national d’actions contre le suicide décidé par le gouvernement, le ministère de l’agriculture avait confié à la caisse centrale de la MSA la mise en oeuvre d’un plan de prévention du suicide dans le monde rural, renouvelé pour la période 2016-2020.
Ce plan a notamment permis la création d’un dispositif d’écoute permanente pour les agriculteurs en situation de détresse, « Agri’écoute », animé par des bénévoles d’associations, sélectionnés et formés à la prévention du suicide. En 2016, le nombre d’appels à l’aide reçus a plus que doublé pour atteindre 2 664 contre 1 219 en 2015. Afin de détecter les agriculteurs en difficulté, chaque organisme de MSA a mis en place une cellule pluridisciplinaire de prévention.
Malgré ces mesures, le suicide se banalise et continue de toucher fortement les exploitants.
Il est donc urgent d’aller plus loin pour renforcer la prévention en améliorant le système de détection des personnes en situation de fragilité. Bien souvent, par pudeur et par souci d’épargner leur entourage familial, les exploitants dissimulent leur détresse. Certains d’entre eux sont tout simplement isolés et dans l’incapacité de demander assistance.
Aussi, il pourrait être instauré un repérage ciblé des personnes à risque au regard de leur état d’endettement et/ou de leurs difficultés financières. En effet, un solde négatif du compte courant ou professionnel, sur une durée continue, peut être l’indicateur d’une situation à risque.
En s’inspirant du principe de l’obligation légale de porter secours à une personne en danger, énoncé à l’article 223-6 du code pénal, les établissements bancaires doivent être au coeur d’un système d’alerte et de déclenchement d’une procédure de soutien.
C’est l’objet de la présente proposition de loi qui a pour but de fixer l’obligation légale pour tout établissement bancaire ou financier de repérer – sans porter atteinte au secret professionnel qui lui incombe – les difficultés financières d’un client chef d’exploitation agricole ou salarié agricole et de l’orienter vers un accompagnement social et psychologique.
Il s’agit d’inverser le principe qui prévalait jusqu’alors, la démarche des agriculteurs vers la MSA, en proposant une démarche des banques vers les agriculteurs. La MSA restera toutefois l’organisme pilote qui encadrera les mesures en faveur des agriculteurs, car son expérience depuis 2011 est un atout pour la prévention et la lutte contre les suicides.
L’article 1er fixe les conditions du déclenchement de l’alerte des banques et des organismes de MSA qui dispose d’une cellule pluridisciplinaire de prévention du suicide.
L’article 2 prévoit l’application de l’article 1er aux contrats en cours et à venir.
L’article 3 fixe les modalités d’application de la loi.

Proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs

Article 1er

Tout établissement bancaire ou financier lié à un exploitant agricole ou à un salarié agricole par une convention de compte courant ou professionnel doit, dès lors qu’il est constaté un solde bancaire négatif récurrent, informer son client de la nécessité d’alerter les organismes de mutualité sociale agricole mentionnés à l’article L. 723-2 du code rural et de la pêche maritime pour lui offrir un accompagnement.

Après obtention de l’accord écrit de l’exploitant ou du salarié agricole, l’établissement bancaire ou financier devra aviser, dans un délai de quarante-huit heures, l’organisme de mutualité sociale agricole de la situation financière de son client.

Dans un délai de quarante-huit heures, l’organisme de mutualité sociale agricole devra déclencher, au bénéfice de l’agriculteur concerné, un accompagnement social et psychologique organisé par sa cellule pluridisciplinaire de prévention du suicide.

Article 2

Les dispositions mentionnées à l’article 1er s’appliquent aux contrats bancaires en cours et à venir.

Article 3

Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application de la présente loi.

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