Proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires

Mercredi 3 novembre 2021, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, puis à la demande du Gouvernement en application de l’article 48 alinéa 3 de la Constitution, le Sénat a examiné la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, adoptée par l’Assemblée nationale le 26 mai 2021 après engagement de la procédure accélérée, présentée par Jean-Bernard Sempastous, député, et plusieurs de leurs collègues.

 La proposition de loi initiale

 Rappelant que « les terres agricoles sont une ressource particulière aujourd’hui sous tension », et que « la concentration excessive des exploitations et l’accaparement des terres agricoles impactent notre modèle d’agriculture traditionnelle, l’environnement par le développement de monocultures, la vitalité des territoires et l’indépendance alimentaire », les auteurs du texte ont déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale, le 9 février 2021, afin de « réguler tous les modes d’accès au foncier, y compris le marché sociétaire ».

 Assurer la transparence des opérations sociétaires, contrôler pour maîtriser les excès et surtout orienter le foncier vers les projets les plus conformes aux orientations politiques, professionnelles et territoriales : tel est l’enjeu de la régulation, au service de l’intérêt général et de la vitalité des territoires, objet de ce texte de 6 articles qui visent notamment à :

  • lutter contre la concentration excessive des exploitations et l’accaparement des terres agricoles, en contrôlant les cessions de titres sociaux portant sur des sociétés à l’origine de ces deux situations, mais uniquement si l’opération confère au cessionnaire le contrôle de ladite société (art. 1er) ;
  • agir pour l’installation et la consolidation des exploitations existantes grâce à un mécanisme d’incitation à vendre ou à donner à bail rural long terme une surface compensatoire au profit d’un agriculteur (libération et orientation du foncier) (art. 2 à 6).

L’examen en commission (20 octobre 2021)

 Mercredi 20 octobre 2021, la commission des affaires économiques a modifié le texte initial par l’adoption de 49 amendement dont 35 présentés par le rapporteur, Olivier Rietmann, et visant notamment à :

  • territorialiser le dispositif pour rapprocher les décisions de l’échelon local : confier la décision d’autorisation au préfet de département, préserver la possibilité de décliner localement – par territoire agricole – le seuil de surface
  • recentrer le dispositif sur les objectifs annoncés de lutte contre la concentration excessive et l’accaparement foncier : élever le seuil d’agrandissement significatif, garantir la fluidité des transactions familiales, conjugales et entre associés de longue date
  • encadrer le dispositif pour asseoir sa légitimité : protéger les acteurs et prévenir les conflits d’intérêts éventuels, supprimer l’extension du pouvoir de substitution des SAFER, améliorer la transparence des procédures, et prévoir la faculté du préfet de réunir la commission départementale d’orientation agricole
  • évaluer nationalement le dispositif, à horizon de 3 ans, afin d’améliorer son efficacité

 L’examen en séance (3 novembre 2021)

 Lors de sa séance publique du 3 novembre 2021, les sénateurs ont adopté des amendements ayant pour effet :
– d’abaisser le seuil d’agrandissement significatif de la surface agricole utile régionale moyenne (SAURM) fixée dans le schéma directeur régional des exploitations
–  de modifier les paramètres du seuil d’agrandissement significatif en fonction du lieu de détention de la plus grande superficie des terres agricoles
– de mieux appliquer aux circonstances locales les dispositions régissant le seuil d’agrandissement significatif
– de permettre aux interprofessions de transmettre des observations au préfet et à la SAFER
– d’élargir la possibilité de recueillir l’avis de la commission départementale d’orientation agricole (CDOA) sur les dossiers de demande d’autorisation instruits par la SAFER au nom du Préfet
– de fixer des mesures compensatoires par un cahier des charges réglementaires du préfet
– d’améliorer le contrôle du respect des engagements pris par les parties aux opérations sociétaires qui ont été autorisées sous conditions, en permettant à la SAFER d’intervenir sur les terrains concernés en appui du préfet
– d’abroger l’article L. 143-15-1 du code rural et de la pêche maritime

     Le Sénat a ensuite adopté avec modifications la proposition de loi.

 ……………………………………..

Intervention de Joël Labbé en séance publique :

Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la régulation de l’accès à la terre agricole est cruciale pour le renouvellement des générations, donc pour le développement d’une agriculture à taille humaine, pourvoyeuse de valeur ajoutée et d’emplois.

Il y a là un enjeu essentiel pour la vitalité de nos territoires et pour la sécurisation d’une alimentation locale diversifiée et de qualité. Un accès partagé à la terre est aussi un levier de promotion d’une agriculture respectueuse de l’environnement puisque, bien souvent, on observe une corrélation entre la taille d’exploitation et la qualité de la biodiversité.

Si la régulation du foncier agricole doit permettre la nécessaire transition agroécologique, l’existence de failles législatives et l’arrivée de fonds spéculatifs dans le secteur agricole se traduisent par des accaparements de terres néfastes pour notre agriculture et pour notre société.

Vous l’aurez compris, le groupe écologiste estime qu’il est essentiel de s’emparer du sujet qui nous occupe aujourd’hui ; nous abordons néanmoins les débats avec beaucoup d’inquiétude.

Tout d’abord, le texte dont nous discutons n’est pas la grande loi foncière qui était promise par le Gouvernement. Nous aurions souhaité aborder le travail à façon, source de concentration de terres. De même, l’accaparement par des investisseurs étrangers via des montages sociétaires n’est pas traité.

Ensuite, bien que cette proposition de loi soit présentée comme une avancée dans un contexte d’urgence, non seulement elle ne va pas assez loin, mais elle pourrait s’avérer contre-productive, en particulier dans sa rédaction issue des travaux de la commission.

Si nous partageons le constat qu’il est urgent de réguler les transferts de foncier qui sont réalisés via les parts de sociétés – de tels transferts ont représenté 616 000 hectares en 2019 –, les modalités proposées dans ce texte ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.

Il est certes prévu de contrôler ces opérations, qui prospèrent aujourd’hui dans un angle mort de la réglementation, mais, si l’on tient compte d’un seuil de déclenchement du contrôle très élevé, d’exemptions diverses et de mesures compensatoires qui sont une caution donnée aux grands agrandissements, cette proposition de loi ne permet pas une véritable régulation.

Pis, en légitimant un contrôle plus faible des agrandissements réalisés via des parts de sociétés, elle acte un « deux poids, deux mesures » entre personnes morales et personnes physiques. Elle risque ainsi de décrédibiliser toute volonté régulatrice en créant un système peu efficace et encore trop facilement contournable.

La commission a poussé plus loin encore cette logique en rehaussant le seuil de contrôle, sujet dont nous pourrons à peine débattre aujourd’hui en raison des irrecevabilités de l’article 40 de la Constitution – cela, d’ailleurs, pose véritablement question.

Elle a de surcroît entériné un recul quant aux outils actuels de régulation, en réduisant le champ d’intervention des Safer pendant neuf ans pour les biens passés par le régime d’autorisation créé par le texte.

Nous nous opposons aussi à la suppression de l’article 5, qui représentait selon nous une véritable avancée permettant de lutter contre les agrandissements excessifs.

Nous sommes ici en désaccord profond avec la commission, qui considère la concentration des terres comme bénéfique, car nécessaire à la compétitivité, ainsi qu’il est écrit dans le rapport. Selon nous, la course à l’agrandissement des fermes est synonyme de perte d’emplois, de valeur ajoutée et de biodiversité ; elle est source de difficultés pour de nombreux porteurs de projets, dont certains sont contraints de renoncer, faute d’accès au foncier.

La terre est un bien commun, il est important de le rappeler, base de notre système nourricier. C’est pour cette raison que nous souhaitons construire un système transparent et juste permettant une régulation foncière accordée à nos objectifs en matière d’installation et de consolidation des exploitations.

On a beaucoup parlé de liberté : c’est ici la liberté d’entreprendre du plus grand nombre que nous souhaitons défendre et, à travers elle, la transition agroécologique. Nous nous opposerons – hélas ! – à ce texte nécessaire, mais largement insuffisant.

 

> Voir le dossier législatif

> Voir le compte-rendu intégral de la séance

 

 

Laisser un Commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

ouvrir