Mariage entre personnes du même sexe


PROPOSITION DE LOI visant à l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe et à l’ordonnancement des conditions de la parentalité
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 27 août 2012


Présentée par Esther BENBASSA, Leila AÏCHI, Kalliopi ANGO ELA, Aline ARCHIMBAUD, Marie-Christine BLANDIN, Corinne BOUCHOUX, Ronan DANTEC, Jean DESESSARD, André GATTOLIN, Joël LABBÉ, Hélène LIPIETZ et Jean-Vincent PLACÉ

La loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité (Pacs), crée également un article 515-8 dans notre code civil définissant le concubinage comme étant « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou du même sexe, qui vivent en couple ». Cette loi reconnaît donc pour la première fois en droit français les couples composés de personnes du même sexe, et crée également un nouveau type d’union : le Pacs. Réformé en 2005 pour rapprocher le statut des pacsés de celui des mariés, notamment au niveau fiscal, le Pacs est devenu une forme d’union largement prisée.

Si les couples du même sexe sont libres de vivre en concubinage ou de conclure un Pacs, la Cour de cassation1(*) et le Conseil constitutionnel2(*), en revanche, ne leur reconnaissent pas le droit de se marier, même si aucun des articles du code civil régissant le mariage (articles 144 et suivants) ne dispose d’une manière explicite que seuls les couples hétérosexuels peuvent avoir accès au mariage.

Pourtant, le Pacs est l’illustration même de l’évolution des modes d’union, depuis la création du mariage civil en 1791. Le mariage civil a connu, en effet, au cours des siècles divers changements. Et le Pacs peut être aisément considéré comme un de ses avatars. De nos jours, avec la sécularisation de la société, aucun obstacle, sinon le poids des préjugés, ne devrait normalement empêcher l’union de deux personnes du même sexe.

Certes, le fait de réserver le mariage à des couples de sexes différents est clairement un dispositif de régulation sociale. En même temps, l’accorder aux personnes du même sexe n’apporte et ne retire rien aux couples de sexes différents. Il convient en ce cas de s’interroger sur la légitimité de ce refus, sauf à considérer que le mariage entre personnes du même sexe risque de mettre irrémédiablement en cause le contrôle social sur les couples et les familles.

Si l’objectif du mariage civil n’est pas la procréation comme l’entendait l’Église, il semble difficile de trouver une raison convaincante d’empêcher la réalisation du mariage souhaité par deux hommes ou deux femmes qui s’aiment. Il faudrait alors préconiser l’interdiction du mariage de couples stériles ou n’étant plus en âge de procréer. En outre, les nouvelles techniques d’aide à la procréation ont révolutionné le rapport des couples à cette dernière, rendant notamment possible à ceux qui le souhaitaient de réaliser un projet familial.

Si le mariage consacre l’amour entre deux personnes, croit-on que des personnes du même sexe ne sont pas en mesure d’éprouver l’une pour l’autre ce sentiment qui n’a pas de sexe ? Retenir cette hypothèse reviendrait à réduire à la sexualité seulement les relations amoureuses entre deux personnes du même sexe.

Si le principe qui régit le mariage civil est l’union à caractère familial entre deux personnes adultes, célébrée par un officier d’état civil, en quoi les personnes du même sexe devraient-elles être empêchées de le faire ? Si les couples hétérosexuels bénéficient de trois formes d’union (mariage, Pacs et union libre), les couples lesbiens et gays, quant à eux, ne peuvent accéder qu’aux deux dernières, ceci constituant une réelle discrimination dans une société moderne et égalitaire.

Le mariage entre personnes du même sexe contribuerait enfin à établir plus justement leurs droits en matière d’adoption ainsi qu’en matière de « garde »d’enfants après divorce s’il y a eu adoption de l’enfant de la conjointe ou du conjoint.

L’élection d’un président de la République de gauche le 6 mai 2012 et l’arrivée au pouvoir d’une majorité de gauche aux élections législatives qui ont suivi, après que le Sénat lui-même eut basculé à gauche en octobre 2011, ont donné l’espoir aux 3,5 millions de gays et lesbiennes en France que soit enfin mis un terme à la discrimination au mariage et à l’adoption qui les frappe.

Le candidat François Hollande avait mis au nombre de ses 60 propositions l’engagement à ouvrir le mariage civil et l’adoption à tous les couples. Cette ouverture n’aura aucune incidence économique dans la période de crise actuelle. Non seulement elle permettra enfin de reconnaître les lesbiennes et les gays comme des citoyennes et des citoyens à part entière, mais elle permettra aussi à la France de rejoindre les nombreux pays européens qui octroient déjà ces droits à toutes leurs citoyennes et à tous leurs citoyens. Le président des États-Unis d’Amérique, Barack OBAMA, a lui-même déclaré, le 9 mai 2012, qu’il pensait « que les couples du même sexe devaient pouvoir se marier ». Et l’Argentine est devenue le premier pays en Amérique Latine à légaliser le mariage entre personnes du même sexe. De surcroît, un récent sondage BVA/Le Parisien montre que 63 % des Français souhaitent que le mariage entre personnes du même sexe devienne un droit.

La présente proposition de loi vise à ouvrir le mariage civil aux personnes du même sexe et s’abstient dans un premier temps, jusqu’à la préparation d’états généraux sur la famille en vue de la réforme du code civil, de toucher à la présomption de paternité, même si plusieurs associations LGBT demandent effectivement de la remplacer par la présomption de parentalité, comme au Canada, ce qui est une revendication juste.

Aujourd’hui, l’homoparentalité est une réalité qui concerne un nombre grandissant de familles qu’il convient de protéger. Or, en France, la parentalité des couples composés de personnes du même sexe n’est pas reconnue. Pour cette raison, les parents « sociaux » (en opposition aux parents biologiques ou légaux, reconnus par la loi), qui agissent en parents mais ne sont pas reconnus comme tels, sont dépourvus de tout lien juridique avec leurs enfants.

Quand l’enfant est déjà présent, le parent « social » se trouve ainsi en recherche d’un statut susceptible de lui permettre l’accès à une place reconnue auprès du parent biologique ou légal, dans la vie de l’enfant. L’absence de statut juridique du parent social a des conséquences importantes : il n’est pas titulaire de l’autorité parentale ; il n’a aucun droit sur l’enfant dans son quotidien, ni en cas de séparation ou de décès. Il est soumis à la bonne volonté du parent légal. Le Royaume-Uni ou la Suède reconnaissent pour ces raisons un statut de« beau-parent », exclusivement réservé aux familles « homoparentales ». Mais si, en France, la jurisprudence est en évolution pour permettre plus largement la délégation ou le partage de l’autorité parentale, il convient en revanche de souligner que le partage de l’autorité parentale ne permet pas la transmission du nom et du patrimoine, de sorte que l’enfant est discriminé car il n’a juridiquement qu’un parent.

Si l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe n’a pas d’incidence sur la délégation d’autorité parentale qui est actuellement possible mais insuffisante pour remédier au vide juridique existant en la matière, en revanche cette ouverture serait susceptible de pallier l’impossibilité qui leur est faite, aujourd’hui, de solliciter l’adoption de l’enfant du partenaire, puisque la Cour de cassation dans sa décision du 20 février 2007 réserve cette possibilité, qui établit un lien de filiation et une protection accrue de l’enfant, aux couples mariés, donc aux seuls couples hétérosexuels. Dans le cas des couples du même sexe, la Cour de cassation a refusé l’adoption simple, aux motifs que« cette adoption réalisait un transfert des droits d’autorité parentale sur l’enfant en privant la mère biologique, qui entendait continuer à élever l’enfant, de ses propres droits ». La Cour refuse ainsi d’assimiler le partenaire à un conjoint. En l’espèce, il s’agissait de deux femmes ayant signé un Pacs et ayant décidé d’avoir un enfant via une insémination en Belgique.

En France, la loi interdit par ailleurs aux couples de personnes du même sexe d’accéder à la parentalité même si les célibataires y compris homosexuels (pour ces derniers un refus fondé sur leur orientation sexuelle est discriminatoire3(*)) ainsi que les couples mariés peuvent se voir confier un agrément ouvrant le droit à l’adoption.

Ainsi la présente proposition de loi préconise-t-elle que les couples mariés qu’ils soient composés de personnes du même sexe ou de sexe différent, puissent bénéficier dans les mêmes conditions de l’adoption simple et de l’adoption plénière. D’après une évaluation de l’association des parents gays et lesbiens, 45 % des lesbiennes et 36 % des gays désirent avoir des enfants.

De même, la présente proposition de loi élargit les possibilités d’adoption plénière aux partenaires d’un Pacs et ouvre aux pacsés et aux concubins la possibilité de procéder à l’adoption simple de l’enfant de la personne avec laquelle ils vivent, toutes les dispositions juridiques devant par ailleurs être prises pour garantir les droits et la protection de l’enfant en cas de dissolution de l’union.

Par ailleurs, concernant les adoptions à l’international, les signataires de la présente proposition de loi aspirent, à terme, à ce que des codicilles soient mis en place dans les accords bilatéraux conclus entre la France et les pays concernés pour mettre fin à toute discrimination pouvant être exercée par les autorités de ces derniers lorsque les demandes sont présentées par des couples du même sexe.

Actuellement les couples de femmes n’ont pas accès à la Procréation Médicalement Assistée (PMA), réservée aux couples souffrant d’infertilité pathologique ou risquant la transmission d’une maladie d’une particulière gravité. Le présent texte propose donc d’y remédier en leur offrant désormais cette possibilité comme c’est le cas pour les couples hétérosexuels.

La Gestation pour Autrui (GPA) n’est pas non plus légale en France. Les associations LGBT demandent que ce mode d’accès à la parentalité soit ouvert aux célibataires et aux couples du même sexe et de sexe opposé, sans que le type d’union soit pris en considération. Cette requête, appelant à une réflexion plus vaste, devrait également être considérée lors de futurs états généraux sur la famille en vue de la réforme du code civil. Cependant, dans l’attente, il est fondamental que les enfants nés par GPA à l’étranger ne soient pas privés de leurs droits en France, et puissent bénéficier de la transcription de leurs actes de naissance.

De même, l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe permettrait aux personnes mariées changeant de sexe de pouvoir changer d’état civil sans qu’elles soient obligées de divorcer et donc de rompre avec la vie qu’elles s’étaient construites.

Les écologistes portent depuis de longues années des revendications sur le mariage entre personnes du même sexe et sur l’adoption par de tels couples. Des députés écologistes avaient déposé en 2002, 2004 et 2008 des propositions de lois dans ce sens. Le député-maire écologiste Noël MAMÈRE avait célébré à Bègles un mariage entre deux personnes du même sexe le 5 mars 2004, lequel finit par être annulé définitivement par la Cour de Cassation le 13 mars 2007.

La présente proposition de loi s’insère dans cette continuité et vise à assurer l’égalité entre toutes formes de couples dans une société qui continue sa marche vers le progrès social.

Ainsi, l’article 1er insère une définition du mariage à l’article 144 du code civil, permettant ainsi explicitement à deux personnes du même sexe de se marier.

Les articles 2 à 9 déclinent les effets de l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe. Ainsi, les articles 2 à 4 élargissent les empêchements à mariage entre personnes de la même famille, prévues aux articles 162 à 164, à deux frères, deux soeurs, l’oncle et le neveu ainsi qu’à la tante et la nièce.

Les articles 10 à 16élargissent les possibilités d’adoption plénière à deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité. En effet, plus de 10 ans après son introduction, le Pacs est aujourd’hui une forme d’union à part entière choisie par des personnes souhaitant vivre en communauté de vie et fonder une famille, mais ne désirant pas se marier.

Les articles 11 à 16 permettent ainsi à une personne liée par un pacte civil de solidarité de pouvoir adopter un enfant dans les mêmes conditions qu’une personne mariée.

L’article 17 ouvre aux personnes liées par un pacte civil de solidarité et aux concubins la possibilité de procéder à l’adoption simple de l’enfant de la personne avec laquelle ils vivent.

L’article 18 tire les conséquences de l’article 17 en prohibant le mariage entre l’adopté et le partenaire de pacte civil de solidarité ou le concubin de l’adoptant.

Les articles 19 à 23 permettent aux couples de femmes d’avoir recours à l’assistance médicale à la procréation.

En outre, l’article 19 introduit« la demande parentale d’un couple de femmes » comme nouvel objet justifiant le recours à l’assistance médicale à la procréation. En effet, le recours à la procréation médicalement assistée n’est aujourd’hui possible qu’en cas d’infertilité pathologique ou de risque de transmission d’une maladie d’une particulière gravité.

L’article 21 introduit une filiation judiciairement reconnue pour la conjointe, partenaire de pacte civil ou personne vivant en concubinage, dans le cadre d’une procréation médicalement assistée pour un couple de femmes. Dès lors, comme pour les couples de personnes du même sexe ayant recours à une procréation médicalement assistée, aucun des deux parents ne peut refuser de reconnaître l’enfant ainsi né et se soustraire à ses devoirs parentaux.

L’article 23 permet la transcription en droit français d’un acte de naissance établi à l’étranger à la suite d’un protocole de gestation pour autrui, sans pour autant ouvrir le recours à un tel dispositif en France. En effet, il s’agit d’éviter que des enfants nés à l’étranger, dans le cadre du projet parental d’un couple de personnes de sexes différents ou du même sexe, ne soient apatrides, le lien de filiation avec leur mère biologique n’étant pas reconnu dans leur pays de naissance, ni celui avec leurs parents français dans notre droit.

Les articles 24 à 26 prennent en compte les modifications apportées à la parentalité dans les règles de dévolution des noms de famille du fait de la parentalité d’un couple composé de deux personnes du même sexe et de l’ouverture de l’adoption simple aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité et aux concubins.

Les articles 27 et 28 tirent les conséquences de la reconnaissance de la parentalité d’un couple composé de personnes du même sexe dans le code du travail et le code de la sécurité sociale. Le congé de paternité devient ainsi le congé de parentalité. Cette évolution sémantique s’inscrit dans celle qu’a connue« l’autorité paternelle » devenue« parentale » en 1975. Le congé de maternité conserve sa dénomination et est réservé à la femme qui accouche.

Les articles 29 à 40 sont des articles de mise en cohérence du vocabulaire dans les différents codes :
– le code civil : articles 29 et 30,
– le code de procédure pénale : article 31,
– le code pénal : article 32,
– le code du travail : article 33,
– le code général des impôts : article 34,
– le code de la sécurité sociale article 35,
– le code des pensions civiles et militaires : article 36,
– le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre : article 37,
– le code de la défense : article 38,
– le code de l’action sociale et des familles : article 39,
– le code des transports : article 40.

Enfin, l’article 41 prévoit la modification de toutes les mesures réglementaires nécessaires à l’application de cette proposition de loi.

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